You’re Burning the Quran?

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Les médias parlent d’un con, la connerie parle d’elle même et me voilà dans la même boue. Peut-être.

Dites un peu, ce type avec des grosses moustaches, est-ce que ça valait la peine d’en parler tant ? Tout le monde le dit : c’est un ringard, un intégriste chrétien sans influence, et il allait brûler un exemplaire du Coran. “Non, il ne va pas le faire. Oui. Peut-être. Non. Sans doute. Quoique… ”, et voilà que même moi j’en parle, de ce pauvre imbécile à la pilosité labiale digne d’un adjudant des années cinquante et à l’esprit plus borné qu’un douanier de l’ère stalinienne. Et tous les médias le disent : c’est la faute aux médias si cet hurluberlu tient la cote. Badaboum et tsoin-tsoin : on n’échappe plus à la pire des sottises, pourvu qu’elle se place en face d’une caméra. Les médias parlent d’un con, la connerie parle d’elle même et me voilà, dans la même boue peut-être, à patauger dans les fanfares imbéciles qui pourraient (chacun le sait hélas) embraser des conflits. Et j’en vois même, parmi les matamores occidentaux, qui me diraient : “Et alors ? Qu’il le brûle, le Coran, nous on n’a pas peur !”

Peur ou pas, guerre ou non, est-ce le débat ?

D’abord, figurez-vous, je l’ai lu le Coran. C’est un écrit complexe, qui, dans le contexte de l’Arabie du VIIe siècle, plaide pour l’émancipation de la femme, pour la libération des esclaves et pour l’égalité devant Dieu. Certes j’ai bien soin de ne pas isoler les fameux versets qui brûlent ou qui fâchent. Je ne veux pas les extirper non plus. Le Coran a ses douceurs et ses violences, c’est un fait, comme la Bible (Nouveau Testament compris) et comme, après tout, la plupart des écrits révolutionnaires et fondateurs ont les leurs.

Ce n’est donc pas un livre qu’il faut brûler, Monsieur le pasteur, mais dans votre cervelle, dans la mienne et dans tous les cortex, une vilaine étincelle qu’il faut éteindre. Cette mauvaise étincelle qui peut réduire un écrit, le gauchir, l’avilir au point d’y embraser la haine. Les “religieux”, moustachus, barbus, mitrés parfois, enrubannés aussi, passent assez souvent pour des virtuoses du lance-flamme. Ils font tant de bruit avec les outrages dont ils se disent victimes, avec leurs outrances, avec leurs rhétoriques incendiaires, qu’ils occultent ceux qui, parfois coiffés ou vêtus comme eux, vivent et habitent leur religion avec sagesse.

Il est vrai qu’on préfèrera toujours parler du pyromane que du pompier. Mais rien ne me fera oublier l’attitude digne et noble de Melle Ben Aïssa au milieu des années nonante. Sa force et sa sagesse suffirent à apaiser toute la colère d’un quartier révolté par les mauvais traitements subis par sa petite sœur. Rien ne me fera oublier la ferme et pacifique résolution de Françoise Humblet, qui, bien qu’elle fût en deuil de quatre enfants, tourna son désespoir en espérance et accueillit, avec la puissance de l’amour, tant de parents désenfantés…

Non, Monsieur le pasteur, je n’oublierai pas le Gitan de Mouloudji ou l’Auvergnat de Georges Brassens. Je n’oublierai pas qu’on devrait graver dans la pierre ce qui fait la grandeur de l’homme, plutôt que d’exhiber la haine et de vous laisser fanfaronner, comme un sombre gamin immature ! Je n’oublierai donc pas l’amitié, qui passe les barrières religieuses et culturelles. Je n’oublierai pas Emmanuel Fourchet et son ami Ahmed Benzizine.

Le premier est contremaître, le second ouvrier. Les deux travaillent depuis trente-sept ans ensemble, principalement dans la restauration de monuments historiques. Pour le coup, ils sont sur le chantier de la cathédrale saint Jean à Lyon. Et voilà… avec l’accord du maître d’œuvre, ils ont concocté un joli clin d’œil à tous les fanatiques de la terre. Car Emmanuel a fait sculpter une gargouille à l’effigie d’Ahmed, et graver dans la pierre, en arabe “Dieu est grand”.

Je ne sais pas si j’oserais affirmer à tous vents que Dieu est grand, Monsieur le pasteur. Mais je sais que votre dieu est minuscule, manipulé, bafoué et utilisé à combattre le dieu myope des intégristes d’en face qui sont prêts à vous imiter et à qui vous ressemblez tant.

Je n’ai pas à me prononcer sur la grandeur de Dieu. “Si nous sommes sous le ciel, disait un humble personnage d’André Dhôtel, c’est au ciel à s’expliquer”. Pour la grandeur de Dieu, on verra donc un jour. Mais, chaque fois que je vois des humains sceller une alliance d’amitié, chaque fois que je vois qu’on met la vie et son avenir en avant de tout, en avant des principes, en avant des religions mêmes, je me dis sincèrement que la grandeur est là !

Et tant pis pour vous, Monsieur le pasteur !

Cette chronique est dédiée à tous mes amis de tous bords, et principalement à Marc Dugardin, qui a attiré mon attention sur Emmanuel et sur Ahmed.

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