Edited by June Polewko and Louis Standish
FAUT- I L r é v i s e r LA CONST I T U T I O N C A L I F O R N I ENNE ?
La république californienne est un laboratoire de modes, d’idées et de lois, et la crise constitutionnelle que traverse le puissant État, connu pour son sens aigu de l’invention, est très observée dans le mondeentier. Car, à l’âge de 131 ans, l’actuelle Constitution de la Californie et ses 512 amendements souffrent d’un surpoids manifeste, qui empêche le gouvernement de gouverner et les parlementaires de légiférer, de décider d’un budget, de lever des impôts. Certains observateurs attribuent cet immobilisme aux règles fiscales paralysantes, et à l’excès de démocratie directe que représentent les initiatives populaires s’inscrivant en amendements.
L’actuelle Constitution (la deuxième que s’est donnée la Californie) était déjà prolixe et volumineuse lors de sa ratification en 1879 1, avec un texte quatre fois plus long que la Constitution fédérale. Mais, avec la pratique du référendum d’initiative populaire (en anglais, initiative ou proposition ou encore measure), les Californiens ont la possibilité de mettre aux voix, à chaque consultation électorale, des propositions de lois qui s’inscrivent dans la Constitution si elles remportent une majorité des votes. Et ils ne se privent pas de jouer aux législateurs et de rédiger leurs propres textes de loi ! D’autant que le processus pour inscrire une
proposition au vote est relativement simple : la pétition présentée au Secrétaire d’État doit être signée par 5 % des électeurs ayant voté à la dernière élection au poste de gouverneur pour la mise aux voix d’une loi, et de 8 % dans le cas d’un amendement constitutionnel (soit environ 700 000 signatures).
1. Constitution of the State of California, adoptée le 7 mai 1879.
D’amendement en amendement, le text déjà prolixe de 1879 a démesurément grossi, jusqu’à compter aujourd’hui près de 400 pages et environ 75 000 mots. Et de nouveaux ajouts sont attendus cette année, lors des scrutins de juin et surtout celui de novembre, où les électeurs (qui choisiront un nouveau gouverneur) devront également se prononcer sur de nouvelles
propositions référendaires – concernant la légalisation et la taxation de la marijuana et la convocation d’une convention constitutionnelle. Inspirée par le système référendaire suisse, la pratique des initiatives populaires a été introduite en 1911 par le gouverneur réformiste Hiram Johnson, afin de donner un véritable pouvoir législatif à la base (la notion de grass roots, en anglais). Mais les initiatives ont été largement utilisées et détournées ensuite, par les groupes d’intérêt et de pression, connus sous le nom de lobbies. Utilisées modérément jusqu’à la deuxième guerre mondiale, les initiatives se sont accélérées depuis les années 1960. D’ailleurs, le nombre et la longueur de ces propositions de loi obligent l’électeur californien à lire et à étudier un bulletin électoral aussi complexe qu’un texte de loi, ce qui rend l’exercice du vote presque intimidant, même pour des citoyens informés. Trop de démocratie directe peut aussi
éloigner certains électeurs des urnes. À la différence de la Constitution de Californie, la Constitution fédérale des États-Unis, ratifiée en 1787 2, avec ses sept articles, suivis des dix premiers amendements ratifiés en 1791 (connus sous le nom de Bill of Rights 3), se contente de 1 500 mots, et le texte n’a été amendé que 27 fois en 223 ans, et en 1992 pour la dernière fois. Les Pères fondateurs avaient au moins veillé à ce qu’on ne puisse pas amender aussi facilement leur texte. Aujourd’hui, l’obésité de la Constitution californienne est souvent citée comme la cause
principale de la crise budgétaire et des dysfonctionnements que connaît l’État. L’acteur Arnold Schwarzenegger, élu gouverneur en octobre 2003, s’est personnellement heurté au système politique en place à Sacramento, qu’il avait pourtant juré de rénover, en langage digne de Terminator. En fin de mandat, le gouverneur se dit favorable à une refonte des institutions, mais il souhaite d’abord donner leurs chances aux parlementaires. Il a déclaré, lundi 25 janvier, devant le Club de la presse de Sacramento :« Laissons d’abord les législateurs tenter leur chance, et nous verrons à
2. Constitution of the United States, ratifiée en convention le 17 septembre 1787.
3. Le deuxième amendement de la Bill of Rights, qui accorde aux citoyens le droit de porter
des armes, est un des plus cités.
quelles réformes ils parviennent. S’ils ne réussissent pas, alors ils doivent revenir vers les électeurs, et nous devrions tenir une convention constitutionnelle. »
Le gouverneur Schwarzenegger, qui quitte son poste à la fin de l’année 2010, et n’est pas rééligible, s’interroge avec raison : « La question est de savoir si la volonté existe pour réaliser ces changements nécessaires. » Effectivement, la détermination, la personnalité et l’orientation politique du prochain gouverneur de Californie, élu(e) en novembre, pèseront sur le sort d’une révision constitutionnelle. Les candidats possibles à la succession – le démocrate Jerry Brown (ancien gouverneur de Californie de 1975 à 1983 4, actuellement ministre de la Justice), ou Meg Whitman (ancienne pdg d’eBay, le site de vente aux enchères en ligne), bien placée pour remporter la primaire du parti républicain – seront-ils favorables à des révisions, et lesquelles ? Lors de la dernière crise financière des années 1990, une commission de révision avait soumis
une série de recommandations qui comportaient un allongement des mandats des élus, la création d’un fonds de secours pour périodes de crise, une restriction des propositions référendaires et un assouplissement des lois fiscales. Mais le Congrès californien n’en a rien fait, et ce d’autant que la crise financière s’est estompée. Aujourd’hui, le mouvement pour la révision constitutionnelle a le vent en poupe, et une majorité des Californiens estiment que leurs institutions politiques et leur Constitution vont très mal. L’historien Kevin Starr 5,auteur d’une histoire de la Californie, parle d’un « failed state » – le premier État en faillite d’Amérique. Selon un sondage publié en octobre 2009 par l’institut Field California Poll 6 – un institut indépendant de San Francisco qui sonde l’opinion publique californienne depuis 1947 –, 51% des électeurs estiment que des « changements fondamentaux » doivent être apportés à la Constitution, 38 % sont d’avis contraire. 51 % préfèrent une convention constitutionnelle à une commission parlementaire de révision, et un tiers des électeurs se disent prêts à servir comme délégués à cette convention.
4. Jerry Brown, gouverneur de Californie de 1975 à 1983, peut se présenter à nouveau au poste
de gouverneur, car la limite des mandats, votée en 1990, n’a pas d’effet rétroactif. Mais Arnold
Schwarzenegger, élu gouverneur en 2003, ne peut pas cumuler plus de deux mandats.
5. Kevin Starr, California, a History, A Modern Library, Random House, 2005.
6. F ield California Poll, State Constitutional Reform and Related Issues, sondage effectué
entre le 18 septembre et le 5 octobre 2009, par téléphone, en anglais et en espagnol, sur un
échantillon de 1 005 électeurs inscrits.
Séisme législatif
Si un consensus existe sur la nécessité du changement, en revanche personne ne s’accorde sur les modes. Doit-on simplement réviser, au coup par coup, les clauses qui ne fonctionnent plus, ou faut-il agir de façon plus radicale et plus complète, et repartir de zéro en rédigeant une constitution entièrement nouvelle et mieux adaptée à la gestion d’un État moderne ? Doit-on faire table rase des amendements successifs, ou simplement veiller à ce que, dorénavant, ce nouveau texte tempère l’ardeur des habitants du Golden State à se substituer à leurs législateurs et à amender constamment leur Constitution ?
La Constitution elle-même définit le processus de sa modification Une commission de révision doit être formée, laquelle convoque une convention constitutionnelle. Cinq fois dans le passé, le Congrès californien a demandé aux électeurs s’ils souhaitaient réviser leur Constitution. Ces derniers n’ont répondu par l’affirmative qu’à une seule occasion, pendant la Grande Dépression, mais les députés n’en ont pas tenu compte, et aucune révision n’est intervenue. Ce serait donc la première révision fondamentale intervenant depuis 1879 et un véritable séisme législatif, car l’architecture de la Constitution et de ses amendements successifs est délicate à altérer. Et même les citoyens médiocrement satisfaits de la Constitution actuelle craignent de voir abroger les clauses qu’ils ont soutenues. La rédaction d’un nouveau texte qui convienne à un État aussi diversifié et disparate s’annonce comme un exercice particulièrement acrobatique. Abroger tous les amendements qui l’alourdissent déclencherait des révoltes chez certaines catégories de citoyens. Qu’on essaie de toucher à la Proposition 13, une initiative adoptée en juin 1978, qui plafonne la taxe foncière à 1 % de la valeur de la propriété, et tous les propriétaires descendraient dans la rue ! Dans le sondage d’octobre 2009, conduit par l’institut Field California Poll 7, 69 % des électeurs s’opposent à un amendement de la Prop 13, qui autoriserait le Congrès à augmenter les impôts fonciers (et seulement 27 % y sont favorables). La Prop 13, de loin la plus connue des initiatives populaires, limite la capacité des collectivités locales à collecter des impôts, et a ouvert la voie à une série d’amendements financièrement coûteux, accusés d’avoir, en l’espace de trente ans, rendu la Californie ingouvernable. Désormais, en effet, 7 % du budget annuel de l’État se décide dans les urnes et non plus à Sacramento ; ainsi des groupes d’intérêt spéciaux ont pris le contrôle partiel des dépenses publiques, avec, par exemple, des mesures versant les bénéfices de la loterie aux tribus indiennes, recalculant le financement des écoles publiques, allouant des fonds permanents à des programmes spéciaux dans le secteur de la santé et de l’éducation.
Retour sur Histoire La Constitution californienne est née en pleine ruée vers l’or, avant l’admission, le 9 septembre 1850, de la Californie comme trente et unième État de l’Union. Sa première convention constitutionnelle, composée de quarante-huit délégués (dont sept Américains d’origine indienne et huit nés en dehors des États-Unis), s’est réunie, entre septembre et novembre 1849, au Colton Hall de Monterey – une localité au sud de San Francisco et en bordure de l’océan Pacifique, qui fut le premier siège du gouvernement de la jeune république californienne. Publié en deux langues, l’anglais et l’espagnol, et ratifié par un vote populaire le 13 novembre 1849, le texte reflétait les doubles origines hispaniques et anglo-saxonnes du Golden State – l’article XI décrétant que tous les textes de lois devaient être traduits en langue espagnole, une disposition qui a disparu ultérieurement. Car une autre convention constitutionnelle, forte de 152 délégués, réunie cette fois dans la nouvelle capitale de Sacramento, produira une nouvelle Constitution, ratifiée le 7 mai 1879, et toujours en vigueur
aujourd’hui. Déjà à l’époque, ce texte, rédigé uniquement en langue anglaise, était considéré comme particulièrement volubile et parmi les constitutions les plus longues au monde, avec celles de l’Inde et de l’État américain de l’Alabama. Il est empreint de méfiance à l’égard des législateurs élus et définit, dès son article II 8 sur le vote, l’initiative et le référendum, et la révocation des élus (recall) : « Tout pouvoir politique est inhérent au peuple. Le gouvernement est institué pour sa protection, sa sécurité et son bien, et il a le droit de l’altérer et de le réformer si le bien public l’exige. » Depuis 1911, les initiatives populaires ont alourdi la Constitution. Lors de certaines consultations électorales, il arrive que plusieurs initiatives abordant les mêmes questions, parfois contradictoires, soient proposées
aux électeurs. La section 8 de l’article II 9 définit : « L’initiative est le pouvoir pour les électeurs de proposer des lois et des amendements à la constitution et de les adopter ou les rejeter. » Le texte protège l’initiative populaire et prévoit qu’une loi adoptée par référendum ne peut être abrogée ou modifiée que par une autre décision populaire, et non par les législateurs de Sacramento. Cette protection constitutionnelle des initiatives populaires est particulière à la Californie. Cette Constitution a l’originalité de défendre des libertés civiques qui ne sont pas explicitement protégées par la Constitution fédérale. Relevons, parmi les différences : l’article I proclame les droits inaliénables de tous les résidents (même étrangers) à acquérir et à protéger leurs propriétés. Ce même article affirme la liberté d’expression : « Chaque personne peut parler, écrire et publier librement ses sentiments sur tous les sujets. » En Californie, les membres des médias ne peuvent pas être poursuivis s’ils refusent de révéler des sources confidentielles. D’autres mesures défendent la liberté religieuse et interdisent la discrimination sexuelle ; protègent les fonds marins, mais aussi le droit du public à pêcher et à chasser dans les eaux et les terres publiques ; légalisent la recherche sur les cellules souches ; régulent les agences gouvernementales et répartissent la taxe sur les immatriculations automobiles, etc. Des réformateurs estiment que certains amendements sont tout simplement « loufoques », et prônent un texte simplifié. De quoi la Constitution souffre-t-elle ? Ce texte, unique en son genre, engendre de sérieux problèmes de gouvernance, et le Golden State est devenu synonyme de faillite, au plan économique et politique. De fait, la Californie est un des trois États américains à exiger une « super-majorité » des deux tiers pour voter un budget, et un des seize États qui exigent cette même super-majorité pouraugmenter les impôts – et le seul État à cumuler les deux exigences ! Une particularité qui donne à la minorité du Congrès californien un droit de veto sur toute décision et toute législation. La minorité a un pouvoir de blocage total, quel que soit le parti en place (en l’occurrence les républicains puisque le Congrès de Sacramento est en majorité démocrate).
Dans un nouveau livre 10, La Californie a craqué. Comment les réformes ont brisé le Golden State et comment le réparer, Mark Paul et Joe Matthews proposent un ensemble de mesures cohérentes pour sauver le système politique – dont l’élimination de la super-majorité et une réforme de la démocratie directe. « Typiquement, dans une démocratie, quand vous élisez une majorité, elle devrait pouvoir gouverner », commente Mark Paul, qui fut vice-ministre des Finances de Californie, et collabore à New America Foundation, un think tank indépendant très impliqué dans la réflexion actuelle sur les réformes structurelles. « Pour accomplir quoi que ce soit, il faut que le parti que les électeurs ont choisi et celui qu’ils ont rejeté se mettent d’accord, ce qui est vraiment très difficile. La Californie ne fonctionne pas, car elle ne peut pas fonctionner. » Et d’ajouter : « N ous avons le système d’initiative populaire le plus inflexible au monde. » Sur la sellette également, l’amendement adopté en 1990, limitant les mandats à six ans à l’Assemblée (trois fois deux ans), et à huit ans au Sénat (deux fois quatre ans). Pourtant, même en Californie où cette innovation des term limits a été lancée afin de décourager les politiciens de carrière et de renouveler plus souvent les élus du peuple, on réfléchit à ses conséquences néfastes. Car la limite des mandats envoie des députés novices au Congrès, éloigne du service public des femmes et des hommes expérimentés et, finalement, prive l’État de précieuses ressources humaines. Un assouplissement de ces limites serait souhaitable, mais comment ? Puisqu’une proposition référendaire peut annuler une précédente, un groupe de citoyens a bien mis aux voix, en février 2008, une initiative assouplissant les limites des mandats, mais elle a été rejetée par les électeurs californiens. Pour réformer les term limits, la seule issue actuelle serait une révision constitutionnelle. Le mouvement en faveur de cette révision a commencé en Californie, autour d’associations civiques et de think tanks ou groupes de réflexion : en tête, Repair California (réparer la Californie) 11, l’émanation du Bay Area Council, une association de décideurs de la région de San Francisco regroupant des entreprises comme Google, Yahoo !, Hewlett Packard, Wells Fargo, United Airlines, Chevron ; ou encore California Forward (en avant la Californie) 12, un groupe de réforme non partisan, financé 10. Mark Paul et Joe Matthews, California Crackup : How Reform Broke the Golden State and How We Can Fix It, University of California Press, juin 2010.
11. S ite de Repair California : http://www.repaircalifornia.org.
12. S ite de California Forward : http://www.caforward.org.
par de grandes fondations ; les sections californiennes de la League of Women Voters (ligue des électrices) ; des organisations civiques comme Common Cause
13 et la Mexican-American Political Association 14. Le
1er août 2009, tous ces réformateurs, qui veulent sauver la Californie, se sont retrouvés dans une bibliothèque de Mission Valley, où s’est joué le premier acte de la révision de la Constitution californienne, dans
une atmosphère survoltée. Pour Jim Wunderman, le président du Bay Area Council : « Les problèmes s’aggravent sérieusement. Le public a affirmé, haut et clair, qu’il faut passer à l’acte. »
L’association Repair California réunit déjà des signatures pour mettre aux voix, au scrutin du 2 novembre 2010, des measures appelant à la tenue d’une convention constitutionnelle. Les réformistes ont le soutien de grands quotidiens californiens, comme le San Francisco Chronicle et le Los Angeles Times, qui affirme dans un éditorial récent 15, « La Californie a besoin d’une convention constitutionnelle » : « La Californie est bloquée. Les écoles vont licencier leurs enseignants. Les prisons vont relâcher leurs détenus. Nos actifs historiques vont être vendus. Les initiatives sont confuses… » « It’s time to reboot » (il est temps de redémarrer), conclut l’éditorial, usant d’une expression branchée, puisque to reboot signifie qu’on redémarre le disque dur de son ordinateur. Une majorité des Californiens est bien d’accord que la Constitution doit être révisée, et la machine relancée, sans trop savoir « comment », ni « par qui ». Ce nouveau texte pourrait intégrer certaines des clauses les plus populaires en Californie, mais aussi les plus controversées et les plus polarisantes. Par exemple, la définition du mariage, qui domine l’actualité depuis le passage en novembre 2008 de la Proposition 8 interdisant le mariage aux personnes de même sexe. Une fraction de l’électorat rejetterait une constitution révisée qui inclurait ce droit au mariage pour les couples de même sexe, tandis que les défenseurs du mariage gay s’insurgeraient contre une constitution qui réserverait le mariage aux couples hétérosexuels. D’autres sujets soulèvent des controverses, comme le droit à l’avortement, l’accès aux services sociaux pour les immigrants sans papiers, ou encore l’affirmative action, un système de
13. Common Cause est une organisation non partisane fondée en 1970 avec pour mission de rendre les institutions politiques américaines plus ouvertes et plus responsables.
14. La Mexican-American Political Association est une organisation de droits civiques créée en avril 1960, pour encourager l’élection des Américains d’origine mexicaine.
15. Éditorial du Los Angeles Times, « California Needs a State Constitutional Convention »,
21 mai 2009.
quotas qui accorde des facilités d’accès aux minorités, mais dans lequel ses détracteurs voient une forme inversée de discrimination. Dans cette bataille pour une nouvelle Constitution, les extrémistes des deux bords risquent de s’affronter : comme à l’époque de la Proposition 187 16, les conservateurs plaideront pour un refus des services sociaux et éducatifs aux immigrants sans papiers ; tandis que des éléments plus libéraux tenteront d’inscrire dans la Constitution l’interdiction du forage du pétrole en mer ou l’utilisation de l’énergie nucléaire.
Comment réviser ?
Le processus de révision, défini à l’article 18 17, est lui-même complexe. Le Congrès californien, par un vote à la majorité des deux tiers à l’Assemblée et au Sénat, peut entamer le processus de révision de la Constitution, et poser la question d’une convention constitutionnelle aux électeurs. S’ils répondent par l’affirmative, les parlementaires sont tenus d’organiser une convention, dans un délai de six mois, avec des délégués des circonscriptions (districts) élus au scrutin proportionnel. Mais, non contents de réviser la Constitution, certains réformateurs proposent même de changer jusqu’aux modes de révision, pourtant définis dans le texte lui-même. Et les idées fusent. Le think tank indépendant Repair California a imaginé une méthode de sélection des délégués à la convention constitutionnelle qui échapperait à l’influence et au financement des lobbies. Les citoyens délégués, rémunérés au tarif des parlementaires, seraient choisis dans un échantillon représentatif de la population, et non pas élus, comme le prévoit la Constitution. Ce groupe de délégués compterait donc obligatoirement une moitié de femmes, et plus d’une moitié de Noirs, d’Asiatiques ou de Latinos. D’autres réformateurs vont plus loin et suggèrent que tous les délégués soient tirés au sort. Et qu’on leur donne toute latitude pour inventer : supprimer une des chambres, convoquer le Congrès à mi-temps, limiter la validité des référendums…Une nouvelle Constitution devrait responsabiliser le gouvernement à long terme et instituer un rainy day fund, une « réserve pour jours de pluie ». Et tirer les enseignements des erreurs passées où la Californie,
16. La Proposition 187, adoptée par les électeurs californiens en novembre 1994, refusait les services sociaux, médicaux et éducatifs aux immigrants sans papiers, mais a été déclarée anticonstitutionnelle.
17. California Constitution, Article 18, Amending and Revising the Constitution.
enrichie par le boom de la Silicon Valley et du secteur immobilier, a dépensé sans compter ni prévoir, pour se retrouver aujourd’hui au bord de la faillite. Un État qui offrait l’un des meilleurs systèmes d’éducation du monde n’est plus en état d’assurer ses services publics, de l’éducation à la justice, et jusqu’aux parcs naturels. Bref, la nouvelle Constitution devrait introduire la notion de responsabilité et de prévisions budgétaires à très long terme. La défense des initiat i v e s Mais la route sera longue. Élevés, et désormais « accros » à la démocratie directe, les Californiens ont une grande confiance en leurs capacités à légiférer, et tous ne voient pas d’un bon oeil qu’on cherche à les en priver. Le débat autour des initiatives populaires est donc central, d’autant que le Golden State est le précurseur de tendances, au plan législatif et juridique. Les campagnes électorales autour de ces propositions d’amendements font avancer les débats de société, et peut-être plus efficacement et plus ouvertement que des débats parlementaires. Le meilleur exemple est celui de la Proposition 8 de 2008, qui a inscrit l’interdiction du mariage gay dans la Constitution et lancé un débat national et international sur le droit au mariage entre personnes de même sexe. Un débat relancé sur le terrain juridique, depuis que deux couples homosexuels, questionnant la constitutionnalité de cet amendement, ont attaqué en justice l’État de la Californie, en la personne de son gouverneur 18. Le procès s’est ouvert devant un tribunal fédéral de San Francisco, le 11 janvier 2010 et, quelle que soit la décision du juge Vaughn R . Walker, attendue au mois de mars, les perdants feront appel et la question du mariage gay sera finalement renvoyée devant la Cour suprême des États-Unis et l’opinion publique américaine. Dans le débat sur la révision de la Constitution, les défenseurs de la démocratie directe à la californienne ne manqueront pas de protéger âprement le droit des citoyens à s’ingérer, et de citer le rôle joué par la Proposition 8dans le débat sur le droit constitutionnel au mariage entre personnes de même sexe. « La Californie a besoin d’un système politique plus démocratique, plus flexible et plus responsable », conclut Mark Paul, co-auteur de California
18. Kristin Perry et Sandy Stier, Paul Katami et Jeff Zarillo, plaignants dans le cas Perry
v. Schwarzenegger, U.S. District Court, San Francisco.
Crackup19, confiant dans le mouvement naissant vers un changement de Constitution : « L’année 2010 peut avoir autant d’importance pour notre siècle que l’année 1910 et ses progressistes en ont eue au siècle précédent. » La décennie à venir s’annonce comme une longue discussion, voire de vives confrontations démocratiques, autour du texte fondateurde la république californienne.
19. Op. cit.
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