L’Amérique souffre, et cette souffrance va bien s’exprimer aujourd’hui dans les urnes. Le président Barack Obama va y perdre sa majorité parlementaire. Ce n’est pas très difficile de savoir pourquoi : il n’a pas réussi à faire repartir l’emploi.
Depuis l’été 2009, un actif sur dix est au chômage, un taux qui n’a jamais été aussi élevé aussi longtemps depuis les années 1930. Or, l’Amérique est accro à la « job creation », la création d’emploi. C’est l’objectif premier de la politique économique, bien plus qu’en Europe. Il figure même parmi les missions de la banque centrale, aux côtés des taux d’intérêt bas et de la stabilité des prix.
Barack Obama ne saurait être accusé d’avoir causé le chômage. Sa responsabilité ici se limite à avoir répété aux Américains, en 2008, que « yes we can », oui nous pouvons sortir vite de cette ornière. Le mal est plus profond. Il y a quelque chose de cassé dans la « job machine », au-delà du scénario de la reprise sans emploi (déjà vu au début des années 2000). Quitte à passer pour un noircisseur de tableau, n’hésitons pas à le dire : en la matière, l’Amérique commence à ressembler à la France. Pas seulement parce que la proportion de sans-emploi y est aussi élevée pour la première fois depuis plus d’un quart de siècle. Mais aussi parce que le chômage y devient structurel.
Plus de 6 millions d’Américains sont sans emploi depuis plus de six mois, soit 42 % du total. Alors que la moyenne de la dernière décennie se situait entre 15 et 20 %, le poids actuel se rapproche de celui de la France, qui est de 60 %. Autre signe : le nombre de salariés travaillant moins qu’ils le souhaiteraient a doublé en deux ans pour dépasser les 9 millions -soit une proportion plus forte qu’en France, où cette situation concerne uniquement 1,3 million d’actifs.
Le bouleversement du marché américain du travail vient de la crise financière, qui en a brisé un ressort essentiel : la mobilité, considérée jusqu’à présent comme une grande supériorité de l’Amérique sur l’Europe. C’était « l’effet baluchon » : quand la crise touchait une ville, ses habitants mis sur le carreau partaient s’installer ailleurs, là où il y avait de l’embauche. Cette tradition d’un pays de migrants a perduré au fil des décennies, le baluchon devenant camion de déménagement. Mais, aujourd’hui, le candidat au départ a un problème majeur : il ne peut plus vendre sa maison. Il ne peut donc pas plus en racheter une autre ailleurs. Il est « collé », comme on dit en Bourse.
Du coup, la mobilité est entravée, comme elle l’est à l’intérieur de la France (avec notamment des droits de mutation qui font plus de 5 % du prix d’une maison, rendant coûteux le déménagement) ou de l’Europe (avec la barrière des langues). D’où un résultat spectaculaire : les taux de chômage deviennent très différents d’un Etat à l’autre. Le Nevada (où est Las Vegas) compte 14 % de chômeurs, le Michigan 13 %, la Floride et la Californie 12 %, tandis que les deux Dakotas et le Nebraska sont au plein-emploi, à moins de 5 %. Un écart bien plus grand qu’en France, où les taux vont de 8 % dans l’Ile-de-France et le Limousin à 13 % dans le Nord – Pas-de-Calais.
L’emploi n’est pas le seul domaine où l’Amérique semble copier les travers français. Il se passe exactement la même chose… dans le crédit aux PME. Antan, les banquiers américains établissaient les taux d’intérêt des prêts aux entreprises en fonction de leur qualité de crédit, tandis que les Français les fixaient en fonction de la taille de l’entreprise.
Des études très précises avaient mis en évidence cet écart. Mais les banquiers américains ont perdu ce savoir-faire. Etranglés par leurs folies passées, ils ont drastiquement réduit leurs engagements. Depuis début 2009, l’encours de leurs crédits aux entreprises a baissé de 400 milliards de dollars ! Les grandes entreprises comme Microsoft ou Goldman Sachs vont lever des fonds directement sur les marchés. Le petit labo pharmaceutique de Carson City, lui, est menacé d’asphyxie financière. Comme la PME de mécanique de Bourg-en-Bresse.
Bien sûr, l’Amérique garde d’autres atouts -des universités puissantes, l’émission de la monnaie mondiale, une démographie tonique, une énorme capacité d’innovation et surtout un formidable esprit entrepreneurial. Mais la crise montre que ses atouts sont fragiles. Elle pourrait bien finir par souffrir des mêmes maux que l’Europe. Catastrophe !
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