American Campuses: Decline of the French Language

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Campus américains : le français en déclin

Vous pensiez que cette formule était une invention de George Orwell… Erreur : c’est, dans sa brutalité laconique, le message en “novlangue” administrative que les sept professeurs du Département de français de l’Université de l’Etat de New York (SUNY) à Albany viennent de recevoir de la présidence de leur établissement. Chacun d’eux avait pourtant ce qu’on appelle aux Etats-Unis la tenure : ils pensaient bénéficier d’une sécurité d’emploi absolue. Aux plus âgés, on a conseillé une retraite anticipée ; aux plus jeunes, “d’aller poursuivre leur carrière ailleurs”. Aux uns comme aux autres, aucune faute professionnelle n’a été reprochée : on les a traités comme les rouages d’une machine qui, n’étant plus rentable, est tout simplement débranchée. Pas de “désactivation” sans déshumanisation préalable : nous voilà bien chez Orwell.

Ce qui vient de se produire à Albany, au-delà de conséquences humaines auxquelles personne ne peut rester insensible, révèle des tendances générales extrêmement préoccupantes qui aujourd’hui affectent en profondeur l’enseignement supérieur aux Etats-Unis. Il existe à cet égard, en France, de tenaces illusions d’optique : on ne perçoit que la vitrine surexposée des établissements d’excellence des classements de Shanghaï, tandis qu’on ignore la face plus sombre d’une multitude d’universités anonymes qui prennent pourtant en charge la très grande majorité de la population étudiante.

DEUX “ANOMALIES” HISTORIQUES

Ce secteur est aujourd’hui gravement menacé par une restructuration économique et intellectuelle brutale : les “désactivations” pratiquées à SUNY témoignent de la sévérité de coupes budgétaires qui liquident les domaines jugés les moins rentables (outre les programmes de français, ceux d’italien, de russe, de théâtre et de lettres classiques ont été simultanément rayés de la carte), tandis que l’emploi se précarise massivement. Il n’y a plus que 35 % d’enseignants titulaires ou en passe de l’être dans les universités américaines, alors que se développe un corps d’enseignants auxiliaires (adjuncts), précaires et nomades, dont l’existence se déroule, pour l’essentiel, sur les autoroutes qui les conduisent d’une université et d’une salle de classe à une autre. C’est ainsi qu’il faut entendre littéralement le sens véritable du conseil dispensé par la direction de SUNY Albany : “Aller poursuivre sa carrière ailleurs” c’est-à-dire derrière un volant.

L’université, aux Etats-Unis, a été remodelée au lendemain de la seconde guerre mondiale selon les normes de l’entreprise américaine, conservant cependant deux “anomalies” historiques, étrangère à la culture d’entreprise, qu’elle avait héritées de la tradition universitaire européenne : la sécurité d’emploi (la tenure) et un secteur important d’activités intellectuelles qui n’était pas directement orientées vers le profit (les humanités). Ces deux “anomalies” sont en passe d’être “rectifiées” sous nos yeux. La sécurité d’emploi est lentement, mais sûrement, en train de disparaître de l’université américaine, avec l’érosion généralisée des protections individuelles qu’exige aujourd’hui le néo-libéralisme. Quant au sort des humanités, la brutalité des mesures adoptées par la présidence de SUNY Albany a, paradoxalement, un grand mérite : celui d’avoir démontré ce qui pourrait devenir une réalité banale pour des universités où, un beau jour, les humanités cesseraient d’être enseignées. Et où, avec elles, les fictions imaginées par Orwell tomberaient dans l’oubli…

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