NATO’s Waterloo?

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Haïti coule, mais l’Afrique décolle, à quelques exceptions près que sont les «trois Z»: Zaïre (devenu République du Congo, le pays de la grande guerre oubliée); Zimbabwe (où persiste jusqu’à l’absurde un vieux tyran destructeur); Zambie (où gronde la révolte des mineurs contre le néocolonialisme chinois)…

L’Amérique du Sud? Elle se ressaisit, derrière des leaders économiques comme le Chili et le Brésil, et se lève, fière, sans trop lorgner vers le Nord. L’Asie en plein boom? De plus en plus, elle regarde de haut un Occident désorienté. Et que fait cet Occident? Entre autres choses, il se saigne dans des aventures militaires à l’autre bout du monde, censées lui garantir la sécurité, mais qui l’appauvrissent et entachent sa réputation.

L’Afghanistan était donc le gros sujet de conversation, au sommet de l’OTAN, ce week-end à Lisbonne. Mais derrière les mots «transferts de responsabilités», «transition», «formation»… ce dont on parlait en réalité, c’est d’un sauve-qui-peut avec un minimum de casse, et sans que la boutique fasse faillite.

En plus de s’encourager sur l’Afghanistan, les leaders réunis à Lisbonne ont parlé de coopération nouvelle avec la Russie, de bouclier antimissile, de lutte contre la cybercriminalité… Joli et ambitieux programme qui, s’il était appliqué, ferait de cette organisation le premier garant international de la sécurité et de la paix entre les nations.

Rien de plus faux, pourtant, que l’analyse gauchiste selon laquelle, à travers ce sommet de Lisbonne, se profileraient aujourd’hui les nouvelles manoeuvres de l’impérialisme conquérant pour «contrôler le monde». Pour attaquer l’Iran. Pour terrasser al-Qaïda. Pour encercler la Russie avec un réseau de lanceurs antimissiles, tout en lui disant qu’elle est «notre amie, notre partenaire». Pour contrôler les pipe-lines et les gazoducs d’Asie centrale. Pour s’approprier les voies fluviales du golfe Persique et de la mer d’Arabie, où l’OTAN participe à la lutte contre la piraterie maritime.

Toutes choses, en réalité, que l’Occident est devenu aujourd’hui quasi incapable de faire.

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Malgré un discours «multitâche» fort entreprenant en apparence, l’OTAN de 2010 pratique plutôt l’autosuggestion («Oui, oui, ça va bien!») et la fuite en avant. Elle est sur la défensive, dans un désarroi identitaire et conceptuel que tente de masquer un beau catalogue, baptisé «Concept stratégique» et «Plan d’action pour le XXIe siècle».

Depuis 1991, année de la disparition de l’URSS, l’OTAN se cherche et n’arrive plus à se trouver. Une fois par décennie, certes, elle révise son catéchisme, se trouve des choses à faire dans la vie… Mais ses interventions concrètes les plus visibles et les plus connues (Kosovo, Afghanistan) n’ont pas donné, disons, de brillants résultats.

Dans les Balkans, la guerre des années 1990 a été «congelée», mais sans vraie solution. Sous la surveillance de 9000 soldats de l’OTAN, le Kosovo marine dans les petits trafics et la grande pauvreté. Tandis qu’en Afghanistan, l’Organisation, avec ses 50 000 combattants, joue sa réputation, sa cohésion, voire son existence même.

L’horizon 2014, désormais officiel pour l’OTAN, est censé représenter le moment où, pour l’essentiel, le gouvernement et l’armée afghans seraient capables de se défendre seuls (avec tout au plus un «soutien arrière» étranger) face à l’insurrection qui gangrène leur pays. Ce n’est ni plus ni moins qu’un gros souhait, dont rien ne prouve qu’il peut correspondre à la réalité.

Un souhait bien enveloppé par une rhétorique optimiste. Le sommet de Lisbonne devait tout à la fois maintenir la façade d’une intervention «déterminée» en Afghanistan, esquisser un calendrier de sortie alors que les opinions publiques piaffent d’impatience et que baissent les budgets de défense en Europe, et prétendre contre toute évidence que ce calendrier correspond à des progrès «objectifs» sur le terrain. En somme, baliser le sauve-qui-peut général pour qu’il n’ait pas l’air d’une débandade.

Peut-être qu’au fond, l’OTAN ne s’est jamais remise de la disparition de l’URSS en 1991, de cet ennemi qui lui donnait sens et cohésion. Aujourd’hui, entre Kosovo, Afghanistan et lutte contre le terrorisme, elle rencontre son heure de vérité… En marge des crises financières et des guerres économiques, de la montée du Sud et de l’Orient, l’équipée afghane est peut-être une autre manifestation du déclin de l’Occident dans le monde du XXIe siècle.

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