Sound Transparency

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Saine transparence

(Québec) Le gouvernement américain est très embarrassé par la diffusion d’une nouvelle série de documents confidentiels par le site d’information WikiLeaks. Après les dossiers sur l’Afghanistan et l’Irak, ce sont cette fois quelque 250 000 notes diplomatiques qui font l’objet d’une fuite. Il s’agit d’évaluations, de comptes-rendus et d’analyses émanant d’ambassades et de consulats représentant les intérêts des États-Unis à travers le monde.

Même si une petite partie seulement de ce matériel a été divulguée jusqu’à maintenant, on sait déjà que les interlocuteurs de nos puissants voisins, notamment des chefs d’État et des ministres des Affaires étrangères, y sont décrits en termes fort peu flatteurs. On y révèle surtout des requêtes surprenantes et des tractations de coulisse qui font froncer les sourcils.

L’une des directives demanderait ainsi d’espionner la direction de l’Organisation des Nations unies, allant jusqu’à réclamer de collecter des données personnelles sur certains fonctionnaires, soit leurs numéros de téléphone, de cartes de crédit, leurs adresses électroniques et même leurs numéros de carte de fidélisation auprès des compagnies aériennes.

Par ailleurs, l’un des rares câbles diplomatiques diffusés concernant le Canada rapporte les critiques véhémentes de Jim Judd, ex-directeur du Service canadien de renseignement de sécurité, à l’égard du système canadien de justice. Ne serait-il pourtant pas normal de s’attendre à ce que notre «espion en chef» défende les lois et tribunaux canadiens lorsqu’il échange avec nos alliés?

Il est certain que les divulgations répétées de WikiLeaks créent d’importantes perturbations, que ce soit dans les états-majors, les chancelleries ou les gouvernements.

Mais, jusqu’ici tout au moins, les médias ont agi avec beaucoup de prudence et de discernement dans le traitement de ce matériel que leur transmet le site d’information spécialisé dans la cueillette de documents inédits. Ils ont expurgé tout ce qui pouvait mettre en danger des personnes ou des installations. Aucun dommage collatéral sérieux n’a d’ailleurs été répertorié à ce jour.

Mais y a-t-il un intérêt public véritable à diffuser dans ce cas-ci des informations transmises par des diplomates de tous niveaux qui ne font, dans bien des cas, qu’étaler leurs perceptions ou leurs préjugés à l’égard de leurs vis-à-vis étrangers et de leurs prises de position ou de leurs politiques?

Tout en reconnaissant la trivialité de plusieurs éléments, nous sommes persuadés que cet intérêt public existe. La transparence doit être la norme des administrations publiques, même si on peut aisément concevoir que certaines négociations doivent se tenir à l’abri des regards ou des oreilles indiscrètes.

Mais quand la manipulation et le mensonge deviennent excusables pour protéger de petits intérêts extérieurs, il n’y a qu’un pas à franchir pour qu’ils deviennent aussi justifiables à l’interne. De là l’importance de savoir.

Bien sûr, tous les interlocuteurs des États-Unis ne sont pas des enfants de choeur. Il n’y a donc pas à se prêter avec eux à un jeu de dupes. Mais à la longue, le respect entraîne le respect, et la franchise, la franchise.

Temporairement gênantes, les fuites de WikiLeaks vont forcer l’administration américaine à devenir meilleure, à hausser ses normes éthiques d’un cran et à moins craindre l’inévitable transparence. Elle forcera ses partenaires, comme le Canada, à lui emboîter le pas.

Et quand un gouvernement comme celui de Stephen Harper hérite d’une «distinction» com-me le Prix de la noirceur que lui a attribué en fin de semaine la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ), c’est sans doute parce qu’il y a place à une sérieuse amélioration à ce chapitre…

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