Vérités, mensonges et WikiLeaks
Patrick Lagacé
La Presse
Il faut lui donner un truc, à Julian Assange. Quelle gueule! L’Australien a vraiment la tête de l’emploi dans le rôle du mystérieux crack de l’informatique venu de loin. Imaginez s’il ressemblait à Raymond Bachand: je suis convaincu, pour des raisons difficiles à expliquer, qu’il ne serait pas autant haï. Dur, dur, de haïr le directeur de la succursale de Postes Canada à Malartic. Plus facile de haïr le DJ hyper-photogénique…
Assange est énigmatique, blond et pathologiquement incapable de sourire derrière ses verres fumés. On le verrait bien figurer aux côtés de James Bond dans le rôle du… du…
Du méchant ou du bon, au fait?
Et s’il n’était ni l’un ni l’autre?
Et si la question de savoir si Julian Assange est un héros ou un traître était, à la fin, accessoire?
Accessoire parce qu’Assange n’est que le visage d’une nébuleuse, WikiLeaks, qui est elle-même le visage d’un phénomène impossible à juguler. La montée de ces contre-pouvoirs sans visage et sans patrie basés sur le web, je veux dire.
Prenez Anonymous, une autre nébuleuse de pirates informatiques qui, il y a quelques années, avait entrepris de terroriser sans relâche l’Église de scientologie en lui faisant une guerre numérique.
Comme WikiLeaks, les documents exhumés par Anonymous étaient d’un intérêt public indiscutable. Ils contredisaient une certaine version «officielle», trouaient une trame narrative lisse, lisse, lisse qui s’apparentait à un conte de Disney.
Contrairement à WikiLeaks, Anonymous n’a pas de visage emblématique.
***
C’est ce qui les fait hurler, les officiels américains, français, britanniques, canadiens: la peur. La peur que, dorénavant, leurs communiqués de presse remplis de mensonges puissent être, à la faveur de renseignements copiés sur un CD de Lady Gaga, contredits et exposés pour ce qu’ils sont: des communiqués de presse remplis de mensonges.
Ça explique le degré stratosphérique d’hystérie qui entoure la réponse de l’Occident face à Assange, face à WikiLeaks.
Aux États-Unis, des politiciens en vue – j’ai nommé Mike Huckabee et Sarah Palin, deux ex-candidats à la Maison-Blanche – ont souhaité plus ou moins ouvertement l’assassinat de Julian Assange. Ici, au Canada, Tom Flanagan, ex-conseiller de Stephen Harper, dans ce qui était plus ou moins une blague, a souhaité la même chose. Des journalistes ont, aussi, souhaité la neutralisation d’Assange.
J’aimerais souligner que le gouvernement chinois n’a jamais, publiquement, souhaité la mort d’un autre «traître»: le dalaï-lama! J’aimerais bien être contredit là-dessus…
Je n’évoque pas la Chine pour rien. La réponse institutionnelle de l’Occident à la «menace» de WikiLeaks participe de la même paranoïa que celle du Politburo chinois face aux blogueurs dissidents qui réclament un peu de transparence.
Désolé, mais croire que MasterCard, qu’Amazon, que PayPal, que PostFinance ont soudainement eu des scrupules face à un client qui «ne respectait pas les conditions d’utilisation» de leurs services… Si vous croyez ça, vous croyez peut-être que le show de fantômes de Chantal Lacroix, à TVA, est vrai. Il est clair que ces entreprises privées ont agi sous la pression d’États paranos.
(Parenthèse, au sujet des accusations d’inconduite sexuelles qui pèsent sur Assange, en Suède: bien sûr qu’elles «tombent» bien. Mais attendons de voir le détail des accusations, et ce qui sortira au procès, avant de juger.)
Ce qui arrive à Assange et à WikiLeaks, c’est ce qui arrive à tous les emmerdeurs qui débarquent avec des propos ou des documents qui décoiffent. On se questionne sur leurs motifs. On tente de les dénigrer. On tente de les mettre en prison. On tente de les faire passer pour fous.
Et, bien sûr, on met en doute leur patriotisme.
C’est ce qui est arrivé à Daniel Ellsberg, celui qui, en 1971, a divulgué des milliers de pages d’analyses secrètes du Pentagone au sujet de la guerre du Vietnam. Les Pentagon Papers, publiés dans le New York Times, montraient clairement que tous les gouvernements américains, de celui d’Eisenhower à celui de Nixon, mentaient au public américain au sujet de l’Indochine. Les Pentagon Papers faisaient passer tous les communiqués de presse au sujet de la guerre du Vietnam pour autant de mensonges.
Bizarrement, les mensonges, ça passe mieux. Beaucoup mieux!
Prenez George W. Bush et les officiels de son administration. Ces rapaces ont inventé des «preuves» pour envahir un pays qui n’avait, finalement, aucune arme biologique ou nucléaire, contrairement à ce qu’ils nous avaient si hystériquement juré. Ils ont menti au peuple américain, à l’ONU, à tout le monde. L’affaire a coûté des milliers de vies, créé un laboratoire de djihad à ciel ouvert, coûtera des milliards de dollars aux contribuables des États-Unis.
Qui demande l’arrestation de W et de ses complices, dans la classe politique et médiatique américaine?
Personne. Absolument personne.
Comme personne, aux États-Unis, n’a demandé que Scooter Libby, chef de cabinet du vice-président Cheney, soit pendu ou assassiné pour avoir divulgué à un journaliste l’identité d’une agente secrète de la CIA, Valerie Plame, pour emmerder son mari, Joseph Wilson, critique de la clique de Bush…
De toute façon, il est trop tard. Le génie est sorti de la bouteille, le dentifrice s’est échappé du proverbial tube de Crest: les menteurs qui nous gouvernent ont de l’opposition. Aujourd’hui, ils s’appellent WikiLeaks. Demain, ce sera autre chose.
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