The Rehabilitation of Expertise Journalism

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On a souvent évoqué le fait qu’Internet pourrait favoriser une participation du citoyen à l’activité démocratique. Le vote ou le débat en ligne permettraient de développer une démocratie directe et participative, où chacun pourrait s’exprimer, argumenter et participer à la décision. L’affaire WikiLeaks nous rappelle que ce n’est pas du tout de cette façon tranquille qu’Internet prend place dans la vie politique. C’est plutôt dans l’agitation et la fureur que le réseau informatique se manifeste dans l’activité démocratique.

Avec les nouveaux outils du numérique, le citoyen amateur de politique s’inscrit plutôt dans “la démocratie de la défiance organisée” analysée par Pierre Rosanvallon. Il trouve là un espace de parole où il peut dénoncer les injustices, les abus. L’amateur de politique peut donc beaucoup plus facilement qu’auparavant devenir un whistleblower, un lanceur d’alerte.

Les premières révélations de WikiLeaks sur l’Afghanistan, en juillet, puis sur l’Irak, en octobre, répondent bien à ce modèle. Ainsi, un soldat américain scandalisé par la façon dont l’armée américaine mène la guerre en Afghanistan et en Irak transmet des “révélations dénonciatrices”, à savoir la copie de documents qui fournissent des témoignages de premier plan sur les nombreuses morts de civils qui accompagnent ces deux conflits. Cette activité de dénonciation n’a évidemment pas attendu Internet pour apparaître.

Les Pentagon Papers, qui ont révélé en 1971 que l’engagement de l’armée américaine au Vietnam était beaucoup plus profond qu’elle ne le disait, nous le rappellent. Néanmoins, le numérique rend plus facile cette activité ; Internet lui donne plus vite une audience plus large. Cette activité de WikiLeaks s’est encore étendue avec la mise en ligne des câbles diplomatiques américains. Il est encore trop tôt pour parler de la spécificité de ces nouveaux documents, qui relèvent d’un registre différent.

Toutefois, les opérations précédentes permettent de réfléchir aux nouveaux rapports qui s’établissent entre l’amateur et le journaliste. On a abondamment célébré l’émergence d’un nouveau journaliste amateur qui serait amené à remplacer le journaliste professionnel. A première vue, WikiLeaks apparaît comme l’apothéose de cette nouvelle forme de journalisme.

L’amateur d’informations

En réalité, nous assistons à une chaîne de coopération beaucoup plus complexe entre l’activité du citoyen scandalisé et la révélation au public. D’une part, WikiLeaks fonctionne comme un acteur quasi professionnel qui vérifie et sélectionne les informations brutes qu’il souhaite mettre en ligne ; il fait également preuve d’une grande maîtrise informatique par sa capacité à protéger ses informations sur des sites ad hoc. Mais, ensuite, seuls des grands journaux de référence, comme le New York Times ou Le Monde, avaient les compétences nécessaires pour exploiter ces montagnes de documents.

Ainsi, pour les warlogs afghans, le Guardian a fait appel, à côté de ses journalistes professionnels, à des spécialistes de la région, mais aussi à des experts en analyse de données. Ces derniers ont donc pu établir des cartes interactives facilitant aussi bien la synthèse de la situation que sa présentation détaillée. Plus largement, ces outils permettaient d’extraire de la base de données les informations dont le journaliste avait besoin pour faire son travail d’écriture et de mise en récit.

Néanmoins, l’amateur n’est pas seulement un nouveau pourvoyeur d’informations. Il peut participer à l’analyse, si de nouveaux acteurs de l’information lui donnent des outils pour le faire. Le journalisme de données, qui se spécialise dans le traitement journalistique de grosses bases de données, comme le fait, en France le site Owni.fr, offre des sources brutes à l’amateur d’informations qui veut regarder tel ou tel aspect spécifique, et autorise celui qui le souhaite à participer à certains traitements ou à confronter les données en question à ses connaissances.

Ainsi, l’amateur à l’ère du numérique n’est pas seulement à l’origine de nouvelles sources d’informations, mais peut être aussi un lecteur éclairé qui commente, en ligne, et réexamine certaines informations. En définitive, l’essentiel est qu’une passerelle soit établie entre le producteur et le lecteur d’informations. Evidemment, la participation du citoyen à la production et à l’analyse des informations est loin d’être la règle, c’est ce qui distingue l’amateur du citoyen ordinaire.

Cette présence de l’amateur est néanmoins essentielle, puisqu’elle démocratise le processus de création et de circulation de l’information. Ainsi apparaissent des citoyens qui développent une série de compétences partielles et évitent la coupure entre les spécialistes et les citoyens ordinaires ; ils constituent la base d’une Toile… démocratique.

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