Santa Claus Is American

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Vous les connaissez, vous, les noms des rennes du Père Noël ? Leur nombre ? Allez demander à n’importe quel écolier américain. Il vous le dira. Huit rennes tirent le traîneau : Tornade, suivi de Danseur, Furie et Fringant. Ensuite, Comète et Cupidon, puis Eclair et Tonnerre. Ou, en version originale : Dasher, Dancer, Prancer, Vixen, Comet, Cupid, Donner et Blitzen. Fermez le ban, et descendez par la cheminée.

Le Père Noël est américain. On le sait depuis que Washington Irving a créé le personnage, en 1809, et que Coca-Cola a popularisé sa belle houppelande et son air débonnaire, plus d’un siècle plus tard.

Chaque 24 décembre, la tradition veut que les familles se réunissent autour du sapin pour lire le poème Twas the Night Before Christmas, écrit par Clement Clarke Moore en 1823. C’est lui qui a inventé le traîneau volant. Au moment d’atterrir sur le toit enneigé, le Père Noël harangue son attelage, et, pour peu que l’orateur ait du coffre, les noms des rennes vibrent dans la Voie lactée.

Les Américains célèbrent Noël avec un professionnalisme consommé. Les non- croyants n’ont qu’à patienter jusqu’à janvier ou en profiter pour essayer d’expliquer qu’on “se porte très bien sans Dieu”, comme le font actuellement les athées de Fort Worth, au Texas, qui ont loué des publicités sur les bus.

Certains trouvent des expédients, comme la juge de la Cour suprême Elena Kagan, si on en croit une réponse qu’elle fit en juin pendant ses auditions de confirmation au Sénat. “Que faisiez-vous le jour de Noël ?, lui demanda le républicain Lindsay Graham. – Comme tous les juifs, j’étais probablement dans un restaurant chinois”, répondit-elle sous les rires.

Les Etats-Unis ne sont pas une nation chrétienne, mais, en décembre, on s’y croirait. Rien qu’à Washington, le week-end dernier, on pouvait assister à une trentaine de concerts de Noël. Ne pensons même pas au prochain : Noël irlandais, écossais, luthérien… Plus une demi-douzaine de Casse-Noisette.

C’est l’incontournable spectacle de fin d’année, des écoles de quartier au Washington Ballet. Tous les ans, on se demande si la crise n’a pas ralenti les ardeurs. Il n’en est rien. Les maisons sont toujours surchargées de guirlandes ou de Pères Noël gonflables. Sur les pelouses, les rennes lumineux remuent la tête (un neuvième renne est apparu en 1939, à l’idée d’un publicitaire astucieux. C’est Rudolf, reconnaissable à son nez rouge).

Tous les malls (les centres commerciaux) ont recruté leur brigade de Santa. Cette année, Noël est très “polarisé”, ont remarqué les économistes. Les ménages à bas salaires représentaient 33 % de la consommation nationale en 2006. Leur part est tombée à 29 %. A côté du Noël de Tchaïkovski, il y a Dickens. Dans le premier, on s’arrache les cadeaux les plus chers. Dans le second, on se précipite à minuit pour acheter du lait pour biberon : c’est l’heure à laquelle les chèques d’allocation chômage arrivent sur les comptes.

La Maison Blanche donne au moins une réception par jour. Tous les soirs, devant l’East Gate, une file indienne d’hommes en tenues de cocktail et de femmes en talons hauts se forme dès la nuit tombée. L’attente est récompensée par une réception dans les salons d’apparat, où chaque président a son portrait : Blue Room, Red Room…

La chorale de Princeton chante dans le Grand Foyer. Cette année, Michelle Obama a demandé qu’on réutilise les ornements des années précédentes. Pour la Green Room, elle a choisi des sapins recyclés : ils sont faits de papier journal passé à la peinture dorée. Tout se fait à l’américaine : quatre-vingt-douze bénévoles venus de vingt-quatre Etats se sont chargés des décorations. En échange, ils ont été conviés à la soirée de lancement de la saison.

Cette année, plus de 50 000 personnes auront été reçues pour une Holiday Party, a indiqué la First Lady. Les invités sont les hauts fonctionnaires, le staff du Congrès, la presse écrite, l’audiovisuel, les familles de militaires, les blessés de guerre. Et, à l’occasion, les vieux amis, les fidèles soutiens comme Edith Childs, la petite dame de Caroline du Sud qui avait inventé en 2007 l’un des slogans de campagne du candidat Obama.

Après avoir serpenté dans les couloirs, les happy few sont conduits dans le salon diplomatique, où le président serre les mains. Tout se déroule dans un ballet parfait, afin qu’aucune seconde ne s’égare, pas plus qu’une tentative de conversation. Les invités sont poussés, autant que présentés par un officier en perpétuel mouvement. “Enchantée”, dit Michelle, en français, avant que le flot du cortège ne se remette à couler.

Le couple présidentiel reçoit deux invités par minute. Un photographe immortalise l’instant. C’est le cadeau de fin d’année du président : une photo qui pourra être transformée en carte de voeux et s’ajouter à la collection que les Américains aiment à exposer dès le début décembre sur leur cheminée (d’où leur étonnement de recevoir des cartes de voeux en janvier quand ils ont déjà tout rangé).

En plus des réductions d’impôts, du traité Start, de la levée du tabou homosexuel dans l’armée, de la révision de la stratégie en Afghanistan, la fonction exige que le président serre quelque 50 000 mains en un mois.

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