À RETENIR
Bombardons le Canada! Et autres propos désobligeants relevés dans les médias américains
Chantal Allan
Traduit de l’anglais par Catherine Ego
PUL
Québec, 2010, 180 pages
«C’est un pays sympa, le Canada, déclare Tucker Carlson, commentateur conservateur vedette de la station américaine CNN, en décembre 2005. C’est un peu comme un cousin attardé qu’on voit à l’Action de grâce. On lui tapote gentiment la tête. Il n’est pas méchant… Mais, franchement, personne ne le prend au sérieux.» L’année précédente, le même Carlson déclarait que le Canada, au fond, «c’est une version made in Taïwan des États-Unis». Résumait-il, ce faisant, l’opinion majoritaire américaine au sujet du Canada?
Journaliste canadienne-anglaise qui vit maintenant à Los Angeles, Chantal Allan explore la question dans Bombardons le Canada! et autres propos désobligeants relevés dans les médias américains. On connaît bien le «Québec bashing», ou dénigrement systématique du Québec, en provenance du Canada anglais. L’antiaméricanisme, dans ses versions québécoise, canadienne ou internationale, a souvent été étudié. Il n’en va pas de même, toutefois, du «Canada bashing», ou de l’anticanadianisme, cette «attitude hostile à la spécificité canadienne, à l’être canadien», pratiqué aux États-Unis. Le projet de Chantal Allan est donc original et instructif. Les journaux nationaux étasuniens comme le New York Times, le Chicago Tribune, le Los Angeles Times, le Washington Post et le Wall Street Journal servent de sources principales à l’essayiste dans cette entreprise.
Des frictions anciennes
Les frictions entre le Canada et les États-Unis ne datent pas d’hier. Les Américains, explique Allan, n’ont jamais vraiment pardonné aux Canadiens de ne pas les avoir accompagnés dans leur révolte contre la Grande-Bretagne en 1776 et lors de la relance de cette dernière en 1812. Malgré tout, par la suite, les relations entre les deux pays sont demeurées plutôt stables. Les liens qu’ils ont développés sont si étroits «qu’il serait maintenant périlleux, pour la sécurité et la prospérité des deux pays, de tenter de les dénouer». Il n’empêche que des crises surviennent qui mettent à mal ces relations de bon voisinage.
La naissance officielle du Canada, en 1867, inquiète certains commentateurs américains. On craint que cette monarchie constitutionnelle ne menace le régime républicain. Le Canada, alors, dans les quotidiens du Sud, est souvent décrit comme «le pays le plus froid du monde», mais le Chicago Tribune suggère néanmoins de l’annexer. Les Fénians, d’anciens combattants d’origine irlandaise de la guerre de Sécession, souhaitent même prendre le pays en otage pour l’échanger à la Grande-Bretagne en retour de l’indépendance de l’Irlande. Déjà, à l’époque, le fort exode canadien vers les États-Unis en inquiète plusieurs. Les Canadiens sont honnêtes et travaillants, disent-ils, mais «quelque peu primitifs».
La négociation d’un traité de réciprocité, ou de libre-échange, en 1911 sera un temps fort des relations canado-américaines. Aux États-Unis, quelques politiciens suggèrent de profiter de l’occasion pour annexer le Canada. Les conservateurs canadiens, eux, s’opposent au projet de Laurier qui mènerait, croient-ils, à une rupture avec la Grande-Bretagne. Le projet de loi sera finalement adopté par les Américains, mais l’affaire échouera quand les conservateurs de Borden seront élus. «Jamais nous ne les aurions crus aussi sots», écrira le New York Times, en parlant des Canadiens.
La période 1953-1968 est marquée par la révolution cubaine, l’affaire des armes nucléaires en sol canadien et la guerre du Vietnam. En 1960, le refus canadien de respecter l’embargo américain imposé sur les exportations à destination de Cuba sera considéré par le Chicago Tribune comme une «trahison digne de Judas». À la même époque, la volonté américaine d’installer des armes nucléaires en sol canadien fait débat. Les libéraux de Pearson sont pour et les conservateurs de Diefenbaker, contre. La victoire des premiers, en 1963, réglera l’affaire selon le désir américain. Pearson, toutefois, en plaidant pour une suspension des frappes aériennes et pour des négociations de paix au Vietnam, soulèvera l’ire du président Johnson, qui l’aurait même pris au collet en lui hurlant: «Vous n’avez pas fini de foutre la merde dans les affaires?»
Les années Trudeau laisseront les Américains dubitatifs. D’abord fascinés par ce premier ministre qui est «une version canadienne des Kennedy», les commentateurs déchanteront vite. On évoque ses «sympathies pour des valeurs socialistes» et on craint sa «Troisième Voie», qui propose de réduire la dépendance du Canada à l’égard des États-Unis. Sa «riposte musclée» aux événements d’Octobre 1970 sera unanimement encensée, mais ses amitiés cubaines et chinoises seront accueillies avec une certaine agressivité. L’élection de Mulroney, en 1984, rassurera les gauchophobes du Sud.
L’après-11-Septembre
Les hostilités verbales reprendront en septembre 2001. L’appui des Canadiens, au moment des attentats contre les tours du World Trade Center, sera apprécié, mais cette reconnaissance n’empêchera pas que se répande la fausse rumeur selon laquelle les terroristes seraient d’abord passés par le Canada. Quand Chrétien refusera d’envoyer les troupes canadiennes en Irak, Pat Buchanan, ancien candidat républicain, parlera du «Canadistan soviétique». Jonah Goldberg, un autre commentateur conservateur, traitera les Canadiens de «lâches» et suggérera, dans une blague de mauvais goût à la Sarah Palin, de bombarder un peu le Canada pour le forcer à se réarmer. En guise de réplique, la directrice des communications de Chrétien traitera Bush d’abruti et la députée libérale Carolyn Parrish exprimera son ras-le-bol de «ces salopards d’Américains». La commentatrice américaine de droite Ann Coulter précisera, elle, qu’elle ne déteste que les Canadiens… français!
Pour expliquer les outrances anticanadiennes des médias américains depuis 2001, Chantal Allan évoque la prolifération des réseaux médiatiques et le développement partisan du traitement de l’information qui l’accompagne, de même que la raréfaction des correspondants américains au Canada et la montée de l’ignorance qui s’ensuit. En montrant le ridicule auquel nous expose cette dernière, Chantal Allan signe ici un essai à la fois amusant, éclairant et préventif.
This is what Republicans think of Canada. Big difference.