Egypte : la leçon de réalisme de Barack Obama
Le jeu de quilles qui ébranle le monde arabe confirme l’ampleur des processus politiques en cours dans une région longtemps dépourvue de toute perspective autre que le déclin économique et l’autoritarisme politique. Le fait que ces processus aient été initiés de l’intérieur et non de l’extérieur, qu’ils aient été portés par des revendications démocratiques et sociales et non religieuses, qu’ils aient pris comme cible les régimes au pouvoir et non les traditionnels boucs émissaires que sont dans cette région les Etats-Unis ou Israël, confère à cette séquence politique une indiscutable originalité, originalité que semblent confirmer les premières études faites sur la sociologie de la révolte égyptienne.
Face à cette réalité inédite et inattendue, Barack Obama a non seulement démontré son immense talent politique mais apporté la preuve que, en matière de politique étrangère, le réalisme ne consistait ni à s’appuyer paresseusement sur les dirigeants en place ni à les renverser par la force, mais à accompagner politiquement les forces du changement dès lors que celles-ci étaient compatibles avec les intérêts américains, sans pour autant être pris en défaut d’ingérence. Au début de la crise, Obama laissa l’initiative à Mme Clinton qui, depuis son entrée en fonction, s’est montrée à la fois très professionnelle mais guère imaginative. Elle n’a pas réussi pendant cette crise à trouver le ton juste, probablement parce qu’elle était soumise à la forte influence de l’Arabie saoudite et d’Israël, farouches partisans du statu quo en Egypte. Certes, en réaliste averti, Obama a probablement cherché à garder plusieurs fers au feu tant que l’issue de la crise demeurait incertaine. Néanmoins, deux éléments ressortent de sa conduite pendant la crise. Il a tout entrepris pour donner un caractère public à son action en intervenant plus de trois fois en une semaine, ce qui est tout à fait exceptionnel. Comme s’il voulait montrer aux manifestants que les Etats-Unis étaient décidés cette fois à se placer du bon côté de l’histoire ; comme s’il voulait signifier aussi à M. Moubarak qu’il voulait prendre à témoin l’opinion publique internationale de ses engagements par crainte qu’il ne les respecte pas. De fait, à mesure que les manifestants s’enhardissaient, il a haussé le ton. La leçon qu’il a ainsi administrée est claire : dans le monde d’aujourd’hui, être réaliste ne consiste pas simplement à prendre le parti des pouvoirs en place mais à intégrer le jeu de toutes les forces sociales. Il sait que, sur le long terme, il serait suicidaire pour les Etats-Unis d’ignorer les revendications démocratiques arabes sous prétexte que les seules forces organisées seraient les islamistes, ou que leurs alliés saoudiens et israéliens sont rétifs à tout changement.
Face à cet activisme intelligent, l’Europe a confirmé son insignifiance. Mais il serait trop facile d’accabler Mme Ashton. Tous les Etats membres se sont bousculés pour prendre part au naufrage. Tous ont rivalisé pour exiger la nécessité d’une transition politique rapide en Egypte, dès qu’Obama l’exigea. Ignorance, peur ou alignement routinier ? Probablement un mélange des trois.
Malheureusement pendant cette crise, Nicolas Sarkozy ne s’est guère distingué par un positionnement judicieux ou original. A sa décharge, on peut dire qu’il absorbait encore le choc de l’épisode « touristique » de la crise tunisienne. Mais le contraste est saisissant entre l’hommage public de Barack Obama aux Egyptiens après le départ de M. Moubarak et le communiqué laconique de l’Elysée soulignant le courage de M. Moubarak, une appréciation pour le moins surprenante, lorsque l’on sait que seul le refus de l’armée de tirer contre la foule a permis d’éviter le bain de sang et rendre la position de M. Moubarak intenable.
Tout cela confirme qu’il y a quelque chose de cassé dans notre politique arabe, une politique qui a eu d’ailleurs tendance, au cours de ces dernières décennies, à s’africaniser au mauvais sens du terme : importance excessive portée aux relations interpersonnelles avec toutes les dérives que nous connaissons, réduction de l’horizon politique de la diplomatie à la régulation de l’immigration et à la lutte contre le terrorisme, recherche de grands contrats auprès des pays solvables, splendide indifférence aux enjeux démocratiques. Jacques Chirac parvint à limiter les dégâts de cette politique par une indiscutable clairvoyance sur un certain nombre de dossiers (Irak, conflit israélo-palestinien). On peine, en toute objectivité, à trouver trace d’une démarche originale chez Nicolas Sarkozy. Le seul projet intéressant dont il a voulu être le porteur (l’Union pour la Méditerranée) a fait naufrage sur une mer réputée d’huile. Sans remise en cause critique, lucide et approfondie de ses lacunes découlant d’une vision trop classique du monde, notre politique étrangère court le risque d’un nouvel affaissement, surtout si le syndrome égyptien venait à se propager.
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