Parlons d’amour, pour une fois. La Saint-Valentin arrive et, dans la procession rituelle du calendrier américain, c’est un arrêt incontournable. Après l’orange de Thanksgiving, le rouge et vert de Noël, et avant le vert fluo de la Saint-Patrick (quand, même dans les fontaines de la Maison Blanche, l’eau est couleur menthe), vient le rouge carmin de la Saint-Valentin. Du rouge plein les écrans, les pubs, les rayons. Du rose jusque dans les cours de récréation.
Aux Etats-Unis, la fête n’est pas réservée aux amoureux. Dès l’école maternelle, on s’envoie des “valentines”, des petites cartes tendres. On offre des chocolats aux profs, des biscuits en forme de coeur aux compagnons à quatre pattes (selon la fédération nationale des détaillants, le consommateur américain a dépensé 5 dollars en 2010 en cadeaux pour ses chiens et chats, en hausse de 2 dollars par rapport à 2009, l’annus horribilis de la Saint-Valentin). Côté adultes, les magazines regorgent de conseils pour réveiller les maris mollissants. Coller un Post-It sur la télé, par exemple : “C’est moi que tu ferais mieux d’allumer !”
La Saint-Valentin est le deuxième événement commercial de l’année, derrière Noël. Les hommes dépensent 160 dollars en bijoux et chocolats. Les femmes, 75 dollars (seulement !, se plaignent les premiers). Toutes catégories confondues, les Américains échangent 180 millions de cartes, 36 millions de boîtes de chocolats et 110 millions de roses, le 14 février. Grâce au Congrès, qui a renouvelé le traitement de faveur de la Colombie (en attendant l’accord de libre-échange toujours dans les limbes), il n’y aura pas de barrières douanières sur les roses, encore cette année (l’essentiel des fleurs viennent d’Amérique latine).
Cela dit, à en croire Greg Grodek, le gourou de la “romance” conjugale, les roses rouges sont un peu dépassées. Le “nouveau romantisme” exige une nouvelle attitude : “Bring Food. Arrive Naked”. On dirait du Twitter : “Apportez à manger. Arrivez déshabillé.”
La Saint-Valentin a subi les effets de la crise, mais les hommes de l’art voient le bout du tunnel : une hausse de 11 % des dépenses cette année. Hallmark, le méga-fabricant de cartes, peut être soulagé. La compagnie propose 1 600 cartes différentes pour la seule Saint-Valentin (dont une est dotée d’un dispositif qui active une animation électronique si on la place devant une webcam.) Hallmark est tellement associée au rituel qu’elle est obligée d’assurer sur son blog que, non, elle n’a pas inventé le 14 février pour augmenter son chiffre d’affaires. Ni même la fête des secrétaires (Secretary’s day, fin avril), ou la fête des chefs (Boss day, le 16 octobre), que beaucoup appellent des Hallmark Holidays, des “fêtes factices”, rendues indispensables par le business.
Cette année, la Saint-Valentin est très attendue à Washington. C’est le jour qu’a choisi Barack Obama pour envoyer son projet de budget 2012 au Congrès. D’ordinaire, la publication du budget se fait début février. Mais la Maison Blanche a pris du retard – et les parlementaires peuvent difficilement se plaindre. Eux-mêmes n’ont pas encore réussi à passer une seule des treize lois d’appropriation budgétaire qui financent le gouvernement.
Dans les propositions de Barack Obama, les experts prévoient plus d’épines que de roses. Depuis les élections de novembre, le président américain a fait beaucoup d’efforts de séduction en direction des milieux d’affaires. Il a fait venir Gene Sperling pour diriger son conseil économique, Bill Daley pour mener son cabinet, des hommes dont le premier geste a été de déjeuner avec Tom Donohue, le président de la chambre de commerce, le groupe de patrons le plus puissant du monde. En début de semaine, il a traversé Lafayette Square pour aller lui-même à la rencontre de la farouche institution qui a dépensé des millions pour faire tomber la majorité démocrate lors des dernières élections.
Barack Obama essaie manifestement d’avoir les patrons de son côté, ou en tout cas d’un côté moins opposé. Et s’il pouvait en détacher quelques-uns du bloc républicain, ce serait un coup de maître. Il espère y parvenir en ralliant les entrepreneurs autour de son projet de relance des infrastructures, ce qui n’est pas impossible : on a bien vu un communiqué commun de la chambre de commerce et du syndicat AFL-CIO. Les patrons pourraient le soutenir sur l’immigration. De son côté, il a accepté de revoir une disposition de la réforme de la santé critiquée par les petites et moyennes entreprises.
Mais dans l’immédiat, les républicains affûtent leurs couteaux pour l’escalade qui s’annonce. Ils ne veulent pas entendre parler d’investissements, d’infrastructures ni de dépenses. Leur arme suprême : refuser de voter le relèvement du plafond de la dette nationale, ou le budget de fonctionnement du gouvernement, tant qu’ils n’auront pas obtenu de coupes drastiques dans le déficit.
Le soir de la Saint-Valentin, Barack Obama a prévu de sortir avec Michelle. Dans une interview à YouTube, il a confié que, plus il avance, plus la Saint-Valentin lui coûte cher. “J’ai plus à me faire pardonner. Avant, je m’en tirais avec un bouquet de fleurs.”
C’était une blague. A ce stade, tout ce que réclame Michelle, c’est du temps.
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