The First Lady of the Garden

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A l’école élémentaire Harriet-Tubman, dans l’un des quartiers défavorisés de Washington, les enfants ont maintenant accès à une activité jardinage, à côté du club de foot. Moins pour consommer la production potagère, assez modeste, que pour “se familiariser avec les légumes”, explique Elizabeth Golub, professeur de maths et responsable du club. Depuis que Michelle Obama s’occupe de l’école, dans le cadre de son programme de lutte contre l’obésité juvénile, la cafétéria sert aussi des repas diététiques. Les enfants ont parfois droit “à des choses qu’ils n’avaient jamais vues jusque-là”, ajoute Monica Davis, une autre enseignante : « Des fraises, par exemple. »

La First Lady vient de fêter le premier anniversaire de sa campagne “Let’s Move” (“Bougeons-nous”), lancée en février 2010. Ce qui était au départ apparu comme une marotte d’épouse de président en mal de cause humanitaire s’est révélé une entreprise ambitieuse et multidisciplinaire. En un an, Michelle Obama a réussi à sensibiliser les chefs cuisiniers, les grandes chaînes de distribution, et même l’industrie agroalimentaire. De Coca-Cola à Kraft et Wal-Mart, les firmes se sont engagées à réduire les calories dans les boissons, les matières grasses, ou la taille des portions.

Une nouvelle loi sur la nutrition infantile a été votée mi-décembre 2010 par le Congrès, et le président l’a immédiatement signée (“C’est ça ou je dormais sur le canapé”, a-t-il plaisanté). Le ministère de l’agriculture pourra désormais fixer des normes pour les aliments distribués dans les écoles, interdisant de fait les distributeurs de friandises, sodas et autre junk food dans les cafétérias. 4,5 milliards de dollars vont être consacrés aux produits frais dans les cantines. Les associations de lutte contre la pauvreté ont déploré que l’administration réduise parallèlement les crédits des food stamps, les chèques alimentaires. Mais la First Lady les a convaincues que, dans les pays développés, lutter contre la faim, c’est aussi lutter contre l’obésité.

Le jardin de Michelle a fait école (si l’on ose dire). Les parents sont ravis que leurs enfants découvrent qu’un repas peut être autre chose qu’une “demi-douzaine de nuggets de poulet dans une assiette en plastique”. A Washington, ville démocrate, où le taux d’obésité adolescente est le plus élevé du pays, neuf écoles ont démarré un potager. Mais dans le comté voisin (républicain), les autorités ont refusé les autorisations en soulignant les périls de la nature en milieu scolaire : “Les potagers sont une source alimentaire pour les animaux nuisibles et ils créent des handicaps pour les enfants allergiques.” A la place, les éducateurs se sont vu proposer des jardinières de balcon…

Dans le contexte national, la campagne de Michelle Obama ne pouvait pas se développer sans controverse. Le Tea Party y a vu une nouvelle manifestation de la boulimie du gouvernement fédéral (il y a peu, l’un de ses ténors, le sénateur Rand Paul, s’en est pris aux économiseurs d’eau installés dans les sanitaires. A cause des écologistes, il n’y a “plus moyen d’avoir des toilettes qui fonctionnent”, a-t-il grommelé).

La First Lady a répondu qu’il n’est pas question de priver les Américains de cookies surmontés de fudge ou de chantilly, simplement de faire passer le message auquel ont droit tous les jours ses filles Malia et Sasha : “Le dessert n’est pas un droit.”Quoi qu’il en soit, sa campagne est devenue un élément du conflit droite-gauche sur les prérogatives du gouvernement. Selon un sondage du Pew Research Center publié début mars, 57 % des Américains pensent que le gouvernement doit jouer un rôle “significatif” dans la lutte contre l’obésité. Mais si on n’interroge que les conservateurs, 61 % pensent qu’il n’a pas à se mêler du contenu des assiettes.

Mercredi 16 mars, à l’heure où son mari s’inquiétait pour les bourgeons de la démocratie en Libye, Michelle a lancé la saison potagère. Entourée d’enfants de l’école Harriet-Tubman, elle a repiqué les légumes de la Maison Blanche. Une cérémonie mi-fête de l’école du quartier, mi- garden-party présidentielle, avec les maîtres d’hôtel en livrée prêts à servir du jus de pomme chaud sous les arbres. Le service de presse avait distribué des plans du jardin, une parcelle de 102 m2, qui a produit 900 kg de fruits et légumes en 2010.

“Alors, les enfants, quel genre de légumes aimez-vous ?”, a lancé Michelle Obama. Les écoliers ont juré qu’ils aimaient les brocolis et les épinards. “Et les poireaux ?”, a-t-elle demandé. Là, il y a eu un grand silence. “Vous connaissez les poireaux ?”L’auditoire n’en avait jamais vu la couleur.

Qu’à cela ne tienne ! La classe a été invitée, pour ne pas dire condamnée, à revenir au printemps pour goûter les poireaux.

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