The Return of Class Struggle through Wisconsin (Part 1 of 2)

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Au Wisconsin, le nouveau gouverneur républicain, Scott Walker vient de faire passer – après un mois de contestation – une loi budgétaire inique écrasant les droits des fonctionnaires de l’Etat fédéré. Ces derniers poursuivent leurs manifestations, dans un parfum inhabituel de « lutte des classes ».

Rayonnant à partir de Madison, capitale du Wisconsin, voici un mois qu’une situation sans précédent depuis les années trente se développe à travers les États-Unis. Et pourtant personne n’en parle dans les grands médias. C’est dire l’importance de l’enjeu.

Samedi 12 mars 2011, sur la place du Capitole : 185 000 personnes s’assemblent – la plus grande manifestation de l’histoire de l’état ; certains disent la plus grande manifestation de tout le pays, exceptée la capitale fédérale. Une loi honnie vient d’être signée, qui fait voler en éclats toutes les avancées sociales chèrement acquises par la lutte il y a plus de cinquante ans. Plus grave : glissés parmi des points strictement budgétaires, plusieurs de ses articles donnent au gouverneur des pouvoirs extraordinaires, qui viennent transformer en profondeur la nature même du système démocratique à l’américaine.

C’est Scott Walker, le gouverneur républicain nouvellement élu grâce aux dollars des milliardaires Koch, qui a déclenché cette immense colère de ses administrés. Ambitieux, triomphant, il avait fait campagne non pas sur cette offensive anti-syndicale, mais sur la création d’emplois. Affublé par provocation d’une cravate rouge pour célébrer sa loi scélérate le 10 mars, il a tenu à mener la cérémonie de signature dans ses formes rituelles, discourant sur le bienfait de sa loi pour les « générations futures ».

Mais il n’a pu atteindre son but que grâce à un incroyable tour de passe-passe qui pourrait bien se révéler anticonstitutionnel : pour contrer la tactique des sénateurs démocrates qui trois semaines plus tôt s’étaient réfugiés dans l’Illinois voisin afin que ne soit pas atteint le quorum nécessaire au vote de toute loi de finances, il prétend tout à coup que cette loi n’est finalement pas budgétaire et ne nécessite donc pas de quorum. Un vote se tient alors selon des procédures jamais vues, sans laisser la parole à l’opposition, et où seuls les républicains votent : en quelques minutes, le texte est adopté, en dépit de quatre semaines de manifestations ininterrompues, dont vingt-cinq jours d’occupation du Capitole, siège du gouvernement de l’état.

Dans une démocratie, cette maison est la maison du peuple : elle est ouverte aux citoyens, et pourtant le gouverneur a tenté de les en faire chasser. Dans un premier temps, la police n’a pas suivi ses ordres, mais ensuite elle n’a plus laissé entrer ceux qui en étaient sortis un peu trop vite par respect de ce qu’ils avaient cru être un ordre légal émanant d’un gouverneur légalement élu ; et malgré une prompte décision de justice en faveur des citoyens déclarant illégale cette fermeture, S. Walker a maintenu son interdiction. Pour pouvoir assister aux débats, des députés démocrates ont été contraints de passer par les fenêtres, et les manifestants repoussés ont campé dehors, sous la neige glaciale de ce mois de mars – on est tout près du Canada.

Mais ce samedi 12 mars 2011, la bataille législative provisoirement perdue, ils sont pourtant encore plus nombreux sur la place. Le projet de loi budgétaire accablait les fonctionnaires tout en cherchant à les diviser, car il épargnait les forces de l’ordre et les pompiers, jugés trop populaires, et bien sûr utiles en cas de contestation trop vigoureuse. Mauvais calcul : « Les flics avec les syndicats et les travailleurs », comme le clament leurs pancartes, ont bien compris la manœuvre et se sont joints aux manifestants. La veille, au son des cornemuses, les pompiers se sont regroupés au coin de la place du Capitole, devant le siège de la banque M&I (Marshall & Ilsley), qui a grassement financé la campagne du candidat Walker. Puis ils sont entrés, et ont tranquillement retiré l’argent de leurs comptes.

D’autres les ont imités : 192 000 dollars ont quitté les coffres ; les bureaux ont été fermés précipitamment. Cette banque gère leurs fonds de pensions et leurs économies, mais elle a, dit-on, un couloir souterrain qui la relie directement au bureau du gouverneur, au Capitole. Samedi, donc, le combat n’est pas fini. La loi a peut-être été signée, mais, plus nombreux que jamais, ils sont tous là : élèves, étudiants, enseignants, infirmières, pompiers, agents de police, employés municipaux et même des agriculteurs venus en renfort sur leurs tracteurs – certains flambant neufs, certains magnifiques pièces de collection – qui font le tour de la grande place. Le journaliste Paul Jay, interviewant l’historien et militant Allen Ruff pour The Real News Network, s’étonne faussement : « Vous voulez dire que les agriculteurs sont venus apporter leur soutien aux fonctionnaires ? Je ne comprends pas : si les travailleurs du privé soutiennent ceux du public, qui diable soutient le gouverneur ? » Et son interlocuteur de répondre : « Uniquement les frères Koch et les grosses sociétés, locales, nationales. » Il ajoute que tout le monde à Madison comprend de toute façon que cette attaque n’est dirigée contre les syndicats qu’en apparence. À vrai dire, d’une part elle affectera toutes les communautés de l’Etat, jusqu’aux plus petites, et d’autre part, générale, concertée, orchestrée par les républicains dans le pays entier, son but est en fait d’écraser les travailleurs à travers leurs syndicats, et du coup tous les démocrates, qui s’appuient sur les syndicats pour financer leurs campagnes. D’un système bipartite, on passera au pouvoir désormais incontesté de l’argent. La conscience de classe, qu’on croyait morte aux Etats-Unis, est en train de renaître.

Ils avaient déjà reçu la visite solidaire de Michael Moore, pour qui ce soulèvement des forces vives du travail est un moment exaltant. Dans son discours, « America Is Not Broke ! » (« Non, l’Amérique n’est pas fauchée ! »), il qualifie la situation de « lutte des classes », et déclenche une liesse d’autant plus grande que les médias « de référence » ont une fâcheuse tendance à taire ce qui se passe. Aujourd’hui, le 13 mars, ce sont les médias alternatifs qui ont organisé les choses. À la tribune, Matthew Rothschild, rédacteur en chef du magazine The Progressive, fondé en 1909 à Madison : l’héritage des luttes sociales est très fort ici, une longue et fière histoire d’opposition aux pouvoirs, surtout à celui des grandes compagnies, de l’argent insolent. Ils sont légion, ceux qui ont participé à ces quatre semaines de lutte parce que leurs parents et leurs grands-parents se sont battus pour ces mêmes droits dont on veut les dépouiller plus encore que de leur argent. Une jeune fille porte une photo de son grand-père syndicaliste au revers de sa veste : « Il aurait voulu voir ça ! Sa place est ici… » (…)

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