Bin Laden Was Already Dead Politically

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“Ben Laden était déjà mort politiquement”

Lan Chi : La stratégie en Afghanistan des Etats-Unis va-t-elle changer ?

Alain Frachon : Oui et non. Commençons par le non : il y a longtemps que les réseaux d’Al-Qaida n’exercent plus beaucoup d’influence en Afghanistan, les liens sur le terrain entre les talibans afghans et “les Arabes”, comme on appelle là-bas les hommes d’Al-Qaida, sont les plus distendus, ne serait-ce que parce que ces derniers ne sont plus guère présents dans ce pays.

Mais Al-Qaida, par l’intermédiaire de certains réseaux, exerce encore peut-être une influence sur certains groupes talibans au Pakistan. La mort de Ben Laden ne peut que diminuer leur influence et favoriser un dialogue entre les talibans et le pouvoir central à Kaboul.

Pour l’opinion publique américaine, qui n’entre pas dans ces détails complexes, la mort de Ben Laden diminuera encore le sentiment que la guerre en Afghanistan est nécessaire. En ce sens, elle va peser sur Barack Obama pour qu’il commence effectivement un retrait des troupes américaines en juillet de cette année, comme il s’y est engagé. Il pourrait annoncer à cette date le départ de quelque cinq mille soldats américains sur les cent mille qui sont engagés en Afghanistan.

Al : Quelles seront les conséquences de la mort de Ben Laden sur les relations entre les Etats-Unis et le Pakistan ?

C’est un sujet complexe, comme le sont les relations entre ces deux pays. On peut faire valoir, d’une part, que le fait que Ben Laden se cachait à 50 km de la capitale, Islamabad, et non pas dans les lointaines zones frontalières avec l’Afghanistan, va encore accentuer les suspicions d’une complicité entre une partie des services secrets pakistanais et Al-Qaida. A tout le moins, d’une grande complaisance des dits services à l’égard d’Al-Qaida, car il est difficile de faire croire à quiconque que les omniprésents services pakistanais – l’ISI – ne savaient pas que Ben Laden se trouvait dans ce quartier select qui abrite nombre d’officiers supérieurs à la retraite.

Mais on peut aussi faire valoir qu’il y a eu un feu vert pakistanais à l’opération américaine et que celle-ci témoigne d’une coopération implicite d’Islamabad avec Washington. On peut avancer l’hypothèse que cette opération signifie que le Pakistan, sous la pression d’une situation intérieure de plus en plus déstabilisée, a enfin décidé de coopérer contre l’islamisme radical.

Nicolas : Peut-on penser que le contexte géopolitique au Moyen-Orient changera avec la mort de cette “étiquette” du terrorisme islamique ?

Je crois que le “Printemps arabe”, ces événements qui, depuis six mois déjà, bouleversent le monde arabe, a signifié la fin de l’attraction que l’islamisme radical – le djihadisme prôné par Ben Laden – a pu exercer dans cette partie du monde.

Voilà une révolte qui se fait au nom de la démocratie et de la liberté, et non pas au nom de l’islam politique, du djihadisme, de la haine de l’Occident, de la haine “des croisés et des juifs”, tous les thèmes chers à Ben Laden.

A aucun moment, aucun des porte-parole de la rébellion, que ce soit à Tunis, au Caire, à Damas ou à Benghazi, ne s’est revendiqué de Ben Laden ou d’Al-Qaida. Au contraire. En ce sens, il me semble que Ben Laden était déjà mort politiquement avant l’opération américaine qui lui a coûté la vie au Pakistan.

Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas ça et là des filiales d’Al-Qaida, au Maghreb ou ailleurs dans le monde arabe ou même africain, qui continueront à exister et à sévir. Mais la capacité de mobilisation et d’entraînement des thèmes djihadistes, qui étaient ceux de Ben Laden, avait singulièrement diminué lors de ce printemps arabe.

Amine : Peut-on craindre une “vengeance immédiate” de la part des groupes terroristes comme Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) sur les personnes enlevées au Mali par exemple ?

Sur ce point précis, je ne sais pas. Mais les Etats-Unis, tout comme le gouvernement pakistanais, ont prévenu leurs interlocuteurs aux Etats-Unis, en Europe, notamment, qu’il fallait s’attendre à des représailles des cellules d’Al-Qaida.

Phil : Le fait que Ben Laden ait été tué par les Américains ne va-t-il pas simplement l’ériger en martyr auprès des plus radicaux et ainsi renforcer leur haine de l’Occident ?

C’est probable, mais encore une fois, l’important me semble plutôt de pointer le peu d’attraction qu’exercent les thèmes djihadistes dans l’opinion arabe, à en juger par les slogans, mots d’ordre et cris de ralliement qui sont ceux de ce printemps arabe.

A. Raenhau : La mort de Ben Laden risque de diminuer l’influence terroriste à travers le monde (déjà en cours depuis le printemps arabe) mais la crainte, désormais, n’est-elle pas l’émergence de nouvelles entités terroristes ou la lutte pour en obtenir le “pouvoir” ?

La crainte réside dans le fait qu’il y a des filiales d’Al-Qaida ou des mini Al-Qaida autonomes qui opèrent toujours, on le sait, dans un arc de crise qui va du sud du Maghreb à l’Afrique sahélienne. Ces cellules-là, plus ou moins lâchement reliées à la “maison-mère”, continuent à exister, à n’en pas douter.

Corentin : L’opinion américaine ne risque-t-elle pas de renouer avec des idées hégémoniques et interventionnistes, rassurée par cette “victoire pour l’Amérique” ?

Je ne crois pas du tout. Avec le drame qu’a été la guerre en Irak, et l’enlisement afghan, l’opinion américaine est d’humeur isolationniste. Les sondages disent qu’une majorité d’Américains pensent que la guerre en Irak a été une erreur et que celle qui est poursuivie en Afghanistan n’est pas non plus nécessaire à la sécurité de l’Amérique.

L’opinion américaine sait que ce surengagement de son pays à l’extérieur n’est pas étranger à l’énorme dette publique qui plombe le budget fédéral et contribue largement aux difficultés économiques que rencontrent les Etats-Unis.

Enfin, le pays a, en la personne de Barack Obama, un président qui a plusieurs fois insisté sur la nécessité pour les Etats-Unis de se consacrer à remédier à leurs difficultés intérieures plutôt qu’à projeter leurs forces militaires aux quatre coins du globe.

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