Dix ans après les attentats du 11 septembre 2001, la mort au Pakistan du Saoudien Oussama ben Laden est une victoire -avant tout symbolique -de la lutte contre le terrorisme. Ce succès est important d’abord pour les Etats-Unis et pour le président Barack Obama, qui a réussi là où son prédécesseur républicain, George W. Bush, avait échoué. Il est aussi la preuve pour lui que sa décision de mettre l’accent sur l’Afghanistan et le Pakistan, et non pas sur l’Irak, était stratégiquement justifiée.
Mais l’Amérique n’est pas seule. Il s’agit aussi d’une réussite pour ses 27 alliés de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (Otan), qui, au lendemain des attaques de 2001 contre les Etats-Unis, avait évoqué, pour la première fois depuis sa création, en avril 1949, l’article 5 de sa charte sur la solidarité collective : « Une attaque contre l’un d’entre nous est une attaque contre tous. »
Au-delà, la disparition de celui qui fut présenté comme l’ennemi public numéro un de l’Occident est une bonne nouvelle pour des puissances comme la Russie ou la Chine, qui, elles aussi, mettent en avant la lutte contre le fondamentalisme islamiste, respectivement en Tchétchénie et dans le Xinjiang. Sans oublier qu’Oussama ben Laden a fait ses toutes premières armes dans la guerre sainte -le « djihad » -contre l’URSS en Afghanistan. Ce qui en faisait aux yeux des Russes l’un des pires terroristes de la planète. Sa mort clôt donc une sombre période commencée pour la Russie en 1978 par l’invasion de l’Afghanistan.
Mais il ne faut pas se faire d’illusions. Sur le terrain, la mise hors d’état de nuire du leader d’Al-Qaida n’est pas un tournant historique. Et cela pour de très nombreuses raisons. « L’affaiblissement stratégique d’Al-Qaida, affirme ainsi François Heisbourg, conseiller spécial de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), a commencé bien avant. » Depuis les attentats de Londres en juillet 2005, après ceux de Madrid en mars 2004, la mouvance du Saoudien n’apas -ou n’a pas pu -mener une opération de grande envergure dans le « monde industrialisé », souligne le politologue, qui avait en son temps popularisé le concept d’hyperterrorisme. De nombreuses tentatives, comme celle du 1 er mai 2010 à Times Square, à New York, par un Américain d’origine pakistanaise, ou encore contre un avion en provenance d’Amsterdam à Detroit à la fin 2009, ont en effet pu être déjouées. De plus, des coups sévères ont été portés à Al-Qaida en Afghanistan après la chute en 2001 à Kaboul du régime taliban et plus récemment au Pakistan. Ce déclin est également à mettre en relation avec le mouvement de démocratisation dans le monde arabe. En Tunisie, en Egypte, puis en Syrie ou en Libye, la référence au fondamentalisme religieux n’a pas été le déclencheur. Loin de là. Dans les événements du Caire qui ont conduit à la chute d’Hosni Moubarak, le rôle des Frères musulmans, dont était issu Ben Laden lui-même, ne peut être exagéré.
L’autre raison est que, dans les faits, Al-Qaida a très largement mué, passant d’une organisation centralisée en forme de pieuvre à une nébuleuse de plusieurs groupes régionaux, des sortes de « franchisés » qui ne sont pas liés à une « base » (« al qaida » en arabe). Du coup, comme le note l’Institut de Heidelberg, « la plupart des actions du terrorisme transnational ont été, encore en 2010, attribuées à des groupes de militants islamistes ». Ainsi, en Somalie, le mouvement Al-Shabbaab (issu de l’Union des tribunaux islamiques) a poursuivi ses actions sur le territoire mais aussi à Kampala en Ouganda. Al-Qaida en Irak (AQI) mais surtout Aqmi au Maghreb sont toujours actifs.
Cette évolution est très largement confirmée par des statistiques de la Banque mondiale. Au cours des dix dernières années, 86 % des 50.000 victimes du terrorisme ont été recensées dans des attaques qui visaient des cibles « non occidentales ». Mais, dans l’immédiat, il est difficile cependant de voir comment ces mouvements pourront réussir à provoquer aujourd’hui un « grand soir » et atteindre enfin l’objectif d’Oussama ben Laden de créer une sorte de grand califat, rival de l’Arabie saoudite.
Cela dit, le terrorisme est loin d’être éliminé à l’échelle de la planète. Car il est fondamentalement non pas une fin en soi mais un moyen. A la différence de groupes comme l’Armée républicaine en Irlande du Nord, l’ETA en Espagne, le PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) en Turquie voire aussi le Hamas dans la bande de Gaza et avant lui l’OLP de Yasser Arafat, Al-Qaida et ses affiliés n’ont pas comme objectif une revendication nationale et territoriale mais mettent en avant une idéologie fondée sur une interprétation spécieuse de la notion d’oumma, de la communauté des croyants qui réunit virtuellement les musulmans du monde entier, bien au-delà de leur nationalité.
Paradoxalement, l’existence d’Al-Qaida est aussi largement liée au fait que le monde du début du XXI e siècle connaît de moins en moins de guerres entre Etats, mais de plus en plus de conflits entre groupes non étatiques pour des raisons idéologiques ou sociales (chômage notamment). La globalisation est passée par là aussi.
Sur un point immédiat, la mort de Ben Laden pose une question cruciale à l’Occident et à l’Otan. Faut-il rester en Afghanistan ou en partir graduellement, comme prévu, à partir de l’été 2011 ? « Cela va renforcer les tendances dans les opinions publiques aux Etats-Unis » mais aussi en Europe pour un départ, souligne en tout cas François Heisbourg.
Car, il ne faut pas oublier que la chasse à Oussama ben Laden, jugé responsable du 11 Septembre, était le principal motif de l’intervention militaire en Afghanistan. Quant à la guerre contre le terrorisme, elle devra être de plus en plus menée par les services de renseignement et de police, et de moins en moins par des armées.
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