The French Vogue for American Clean Techs

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Total, Schneider, Saint-Gobain, Areva… Ces groupes aux activités si différentes ont au moins un point en commun : ils multiplient les emplettes de firmes « clean tech » outre-Atlantique. Et ce mouvement d’acquisition, plutôt inhabituel dans ce sens, concerne tous les grands domaines des technologies vertes. Si Total veut devenir un acteur majeur du photovoltaïque et a également des ambitions dans les biocarburants, Areva s’intéresse au solaire thermique. Saint-Gobain affirme quant à lui ses ambitions dans le bâtiment intelligent et Schneider Electric se positionne comme l’un des leaders de l’efficacité énergétique. La liste des grands groupes français qui ciblent spécifiquement le marché américain des technologies propres peut encore être allongée si l’on y ajoute l’accord conclu entre EDF et First Solar ou le programme lancé par Veolia pour bénéficier en priorité des technologies des meilleures start-up vertes américaines, notamment californiennes.

Si ces mouvements ne sont bien sûr pas coordonnés, ils répondent à des logiques similaires. Ayant toutes le souci de chercher des relais de croissance à partir de métiers de base ou de compétences avérées, il est compréhensible que ces entreprises se tournent vers les technologies vertes, positionnées sur des marchés en forte croissance. L’énergie solaire, l’éolien et les biocarburants ont progressé de 35 % l’année dernière pour représenter un marché de 188 milliards de dollars, selon le cabinet de conseil Clean Edge. Comme beaucoup d’autres, ce dernier prévoit que ce rythme de croissance devrait au minimum se maintenir dans les années à venir.

Deuxième caractéristique commune : ces groupes s’intéressent tous, en priorité, aux firmes américaines. Si l’inquiétude à propos du changement climatique est un débat qui traverse moins fortement la société américaine que les pays du Vieux Continent, cela n’a pas empêché les Etats-unis de prendre très brutalement le virage de l’innovation technologique verte. Il y a plusieurs années déjà. En particulier en Californie, dont l’ancien gouverneur, Arnold Schwarzenegger, a multiplié les incitations fiscales et les contraintes réglementaires pour faire du Golden State le paradis de l’énergie solaire, des biocarburants, des immeubles intelligents et de la voiture électrique.

Résultat, les pépites technologiques y sont non seulement innombrables (abondamment financées par le capital-risque depuis le milieu des années 2000), mais également, aujourd’hui, assez bon marché. Par la grâce d’un euro fort (près de 1,5 dollar actuellement), mais pas seulement.

Celles qui sont cotées en Bourse, comme SunPower, qui vient d’être racheté par Total pour 1,4 milliard de dollars, ont perdu une bonne partie de leur valeur depuis le début de la crise économique et financière. Mais, globalement, le mal est plus profond. Qu’il s’agisse d’énergies renouvelables, d’efficacité énergétique ou de bâtiments intelligents, il faut d’énormes capitaux pour financer l’innovation, les capacités de production et les forces commerciales sur des marchés mondialisés… Or les investisseurs, qui ont déjà largement mis la main à la poche, s’aperçoivent qu’ils ne pourront pas financer ainsi toutes ces filières émergentes jusqu’au retour sur investissement. Et ils commencent à en abandonner certaines en chemin, même si leurs technologies s’avèrent très prometteuses.

C’est là que les opportunités apparaissent. Les grands groupes français ont en effet les reins assez solides non seulement pour leur apporter les capitaux nécessaires (ils accèdent en outre aux marchés financiers à de meilleures conditions que les start-up), mais ils peuvent surtout incorporer ces nouvelles technologies à leurs portefeuilles existants et les proposer à leurs propres clients. Dont la plupart seraient réticents à adopter ces technologies si elles étaient proposées par des start-up inconnues. C’est la logique du programme de Veolia, qui s’appuie sur un partenaire californien pour qu’il lui sélectionne les meilleures technologies susceptibles d’enrichir son offre sur ses différents métiers liés à l’environnement. Ou encore d’Areva lorsqu’il a acquis l’année dernière Ausra, un spécialiste du solaire thermique de la Silicon Valley, alors en difficulté. Depuis, le groupe français a apporté son expertise technique et commerciale et vient tout juste d’annoncer un premier contrat de ferme solaire thermique en Australie.

La logique des entreprises tricolores est donc de mettre la main – au plus tôt -sur les meilleures pépites, afin de se donner de nouvelles armes face à leurs rivaux traditionnels. C’est ce qu’a aussi fait Schneider Electric, qui s’est emparé en mars d’un spécialiste américain des réseaux intelligents – les fameux « smart grids » -, Summit Energy, pour 268 millions de dollars, alors qu’il est en compétition avec Siemens ou General Electric sur ces marchés. Preuve que les couteaux sont bien tirés, GE venait de s’emparer, quelques semaines plus tôt du français Converteam (spécialiste de l’efficacité énergétique) pour la modique somme de 3,2 milliards de dollars…

Le mouvement « d’industrialisation globale » des technologies vertes ne fait donc que commencer, qui va bouleverser nos modes de vie. Parce qu’elles savent qu’elles sont plus douées pour valoriser industriellement une innovation technologique que pour la créer dans leurs laboratoires, les entreprises françaises sont parmi les plus actives dans ce mouvement de recomposition économique.

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