Et si la disparition de Ben Laden servait le Pakistan ?
Si la possibilité que les services de renseignements pakistanais soient faillibles au point de ne pas savoir que le chef d’Al-Qaida vivait en directe proximité d’une zone particulièrement militarisée du Pakistan ne peut être totalement écartée, on peut aussi se demander si l’establishment militaire n’aurait pas assisté en observateur, sinon bienveillant, au moins indifférent, au raid américain conduisant à la mort de l’homme le plus recherché de la planète.
Certes, la réaction officielle a souligné une nouvelle violation du territoire pakistanais par les Américains, mais l’élimination de Ben Laden ne sert-elle pas les intérêts pakistanais ? On peut avancer sur un certain nombre d’arguments plaidant en ce sens.
D’abord, il demeure encore des zones d’ombre, à commencer par le fait qu’une opération militaire aéroportée ait été possible sans alerter, à un moment ou à autre, les forces armées pakistanaises. Mais, surtout, Ben Laden était-il encore d’une quelconque utilité pour les autorités pakistanaises ? Celles-ci nous ont habitués à coopérer périodiquement à l’arrestation des membres d’Al-Qaida. L’ex-président Moucharraf se glorifiait d’ailleurs dans son livre de mémoire des sommes récoltées en échange de la livraison aux Américains de membres de l’organisation terroriste.
Oussama Ben Laden, à l’inverse de groupes djihadistes ou talibans, n’a jamais vraiment servi les intérêts stratégiques pakistanais tels qu’ils sont perçus au quartier général de l’armée à Rawalpindi. Par contre, le lâcher avait au moins deux avantages. Le premier était d’apporter sa contribution au début d’un retrait des forces américaines d’Afghanistan – souhaité à la fois par Islamabad et le président Obama – à partir de juillet. Rappelons ici que l’objectif premier de l’intervention américaine en Afghanistan était la traque d’Al-Qaida.
Le second avantage est de donner des gages au président Hamid Karzaï qui soutient depuis longtemps que les terroristes ne sont pas réfugiés dans son pays mais au Pakistan. Cela fait plusieurs mois que les deux pays ont entamé un rapprochement symbolisé par la visite conjointe à la mi-avril du premier ministre pakistanais accompagné du chef des forces armées, le général Kayani, et du directeur de l’ISI, Ahmed Shuja Pasha. Le chef de l’Etat afghan estime qu’une prise de distance vis-à-vis d’Américains devenus moins accommodants à son égard et une intégration des talibans dans le processus de sortie de guerre sont politiquement nécessaires.
ERREUR OU COLLUSION ?
Aussi, un rapprochement avec le Pakistan, sans enthousiasme, tant demeure grande la méfiance, est incontournable. L’ouverture d’un bureau taliban en Turquie chargé de faciliter les contacts entre les principaux protagonistes dans la recherche d’une solution politique à la guerre en Afghanistan (Afghanistan, Arabie saoudite, Etats-Unis, Pakistan) participe de cette dynamique. Avec la perspective d’un retrait des forces internationales et une réhabilitation des talibans, l’objectif d’un repli des influences américaines et indiennes en Afghanistan serait ainsi atteint par l’establishment militaire pakistanais.
Certes aux yeux d’une bonne partie de l’opinion internationale, le pays conforte son image d’archétype du double langage, abritant des terroristes, tout en coopérant officiellement à la guerre contre le terrorisme. Mais l’annonce que Ben Laden était réfugié au Pakistan n’est pas totalement une surprise. Certes des membres du Congrès américain questionnent l’opportunité d’accorder une aide substantielle à un pays ayant abrité le responsable des attentats du 11-Septembre, mais ils ne seraient pas fâchés par ailleurs de pouvoir faire des économies budgétaires à travers le retrait progressif d’Afghanistan facilité par l’élimination de Ben Laden.
Côté pakistanais, on observe qu’il n’y a pas eu de manifestations de soutien populaire substantielles envers la figure emblématique d’Al-Qaida et que, par ailleurs, les autorités ayant pris soin de ne pas s’associer avec l’opération des Navy Seals, elle peut espérer limiter les retombées sanglantes pour les forces de sécurité qui avaient suivi l’assaut mené contre la Mosquée Rouge en juillet 2007. Qu’il s’agisse d’un embarrassant manque de discernement des services de renseignement ou d’une collusion tacite, Ben Laden serait-il devenu pour les Pakistanais plus utile mort que vivant ?
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