DSK: The Fall

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DSK : la chute

La sidérante inculpation de DSK dynamite, dit-on, notre compétition présidentielle. Si ce n’était que cela ! Hélas, elle tétanise toute une nation. Et, selon les heures, l’indigne ou l’humilie. Tous nos cafés du commerce dissertent sur les “trous noirs” de la nature humaine. Ils daubent sur les folies des hommes que le pouvoir tourneboule. Sur ces sorcières du Sexe et de l’Argent qui font vaciller les princes. Et devant l’extraordinaire, on voit s’envoler l’ordinaire essaim des complots.

On devrait d’abord, par hygiène mentale, accepter une évidence : à douze mois d’une compétition nationale, il est absurde de proscrire l’imprévu. Voici donc le favori sondagier de l’élection favorite de la France, sinon foudroyé, du moins dans l’incapacité physique de concourir à l’Elysée. Mais songeons qu’en quelques mois notre village, informé et informatisé, fut électrisé par un séisme japonais avec son incidence nucléaire ; une crise financière inachevée qui peut naufrager des monnaies ; le haut risque terroriste après la mort de Ben Laden… L’imprévu est dans l’air du temps !

Image terrible : le grand seigneur de notre intelligentsia politique, le candidat le plus populaire à la plus populaire des élections, le patron aux mérites reconnus du FMI, le polyglotte flamboyant, le surdoué de l’informatique se voit exhibé, menotté, mâchoires serrées, sur tous les écrans de la planète. La France y découvre, et mieux que dans les feuilletons télé de Hollywood, les rigueurs de la procédure américaine. Elle apprend que les “experts” vont explorer la peau et l’ADN des deux protagonistes. Elle suppute quel miracle peut concocter, en faveur de DSK, l’avocat choisi, celui des grands bonnets et des causes désespérées.

Mais, au-delà, elle comprend qu’avec le Sexe et l’Argent, l’Amérique et la France jouent à fronts renversés. En France, on cancane à l’envi sur la contamination de DSK par l’argent, sur la fortune de sa femme et sur une Porsche où il s’engouffre. Et, de même, on cancane encore sur le Fouquet’s de Sarkozy. L’Amérique, elle, ne respire aucun soufre ni dans la Porsche ni dans le Fouquet’s. Elle ne voit dans cette mauvaise fièvre française que l’héritage catholique d’un argent peccamineux. Et dans l’égalitarisme français, le noble habillage de l’envie.

En revanche, le sexe, lui, sent là-bas le fagot. L’adultère le plus fugace est interdit à tout responsable public. On se souvient du torrent d’anathèmes et d’insanités brandi contre le président Clinton. De l’acharnement contre le cinéaste Polanski. Et on ne compte plus les carrières de parlementaires tranchées par un coup de canif libertin. En France, au contraire, la tolérance sexuelle a fait les beaux jours de notre vie publique. Des “éléphants” respectés de la IIIe et de la IVe République fanfaronnaient dans des maisons fort peu closes. Et si un scandale, celui des ballets roses de Le Troquer, connut un épilogue judiciaire, on aura vu s’étouffer la plainte d’une servante d’hôtel contre un Antoine Pinay entreprenant. La France, comme l’Italie de Berlusconi et de ses séances de bunga-bunga, ne s’effarouche pas à l’excès d’une liberté sexuelle affichée.

Ces approches opposées font qu’aux Etats-Unis et en France les Codes ne traitent pas avec les mêmes imputations l’attouchement, l’agression, le harcèlement et le viol. Et la culture populaire découvre des enfers où nous ne voyons que des licences. Mais c’est aux Etats-Unis, dans les filets de la justice américaine, que DSK est tombé…

Depuis une à deux décennies, les femmes françaises réagissent avec une légitime exigence contre les complaisances machistes de nos moeurs. Mais l’onde de choc de l’affaire Strauss-Kahn gagnera aussi les prétentions nouvelles que la sacro-sainte “transparence” imposera. La “transparence” est partout, derrière l’oeil de chaque portable. Et le soupçon partout, derrière les foules détectives du Net. De l’homme public on exigera plus qu’une vocation, une “sainteté laïque” sous l’inquisition de Big Brother. Progrès ? On peut en douter.

Quel que soit le sort judiciaire de DSK, il est d’ores et déjà acquis que sa chute fragilise l’atout français au FMI. Et que la notoriété de sa disgrâce pèsera, dans l’outrance habituelle des réputations, sur celle de la France. Ce mauvais nuage passera.

Il pèsera en revanche plus longtemps, et avec l’exploitation démagogique des extrêmes, sur l’image de nos gouvernants. Il fait perdre au Parti socialiste son meilleur atout électoral. Par le jeu des contrastes, François Hollande, qui se présentait, avant l’épisode hors normes de l’affaire DSK, comme “un homme normal”, s’en trouve fortifié. Sa Corrèze pondérée fait un marchepied rassurant face au Capitole new-yorkais et à sa roche Tarpéienne. Mais, une fois encore, trêve de pronostics !

La déflagration DSK est trop proche. Et la stupeur rend stupide.

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