Par ce discours, “Obama fait de la démocratie la question centrale dans le monde arabe et, dans cette rupture, ce discours est historique” affirme le politologue Vincent Geisser. Par Céline Lussato.
Certains attendaient hier un nouveau discours du Caire de la part de Barack Obama, qu’en avez-vous pensé ?
– Ce discours est très distinct de celui du Caire qu’on avait bien trop valorisé en 2009. Il était inscrit en rupture avec la période Bush, avec l’idée qu’on était passé de la théorie de l’axe du mal à une volonté d’Obama d’instaurer un nouveau rapport avec le monde arabo-musulman. Mais ce qu’on n’avait pas alors vu c’est que la référence au processus de démocratisation du monde arabe était absente. C’était un discours qui était encore dans une trame civilisationiste, c’est-à-dire qui affirmait : “Nous Occident nous tendons la main aux musulmans”.
Celui d’hier, même si les gens sont sceptiques sur les effets qu’il produira, sort définitivement de cette trame orientaliste pour placer au centre de sa préoccupation la question de la démocratie. Philosophiquement, il marque une évolution considérable, en affirmant que la démocratie n’est pas une exception dans le monde arabe, que le problème des relations entre le monde arabe et le monde libre n’est pas un problème religieux mais une question de liberté et de démocratie.
Ce qui était marginalisé au Caire, devient central : “le monde arabe n’est pas si différent du notre et il va vers la démocratie comme nous”. Alors qu’au Caire c’était “ils sont différents, on leur tend la main”, c’était du “Bush à visage humain”.
Le dernier discours de Barack Obama est sorti de l’approche religieuse et culturelle pour passer à une approche qui, philosophiquement, est plus politique –et qui compare d’ailleurs la lutte d’émancipation des peuples arabes à celle des noirs américains.
Ce discours aborde, de front et sans tabou, la question de la démocratie.
N’y a-t-il pas alors un problème de tempo ? N’aurait-il pas été plus utile avant les révolutions, les populations attendantaujourd’hui des prises de position plus concrètes ?
– Le discours du Caire restait en effet très prisonnier des relations avec les régimes autoritaires. Et ce discours là est en effet un rattrapage un peu tardif. Il aurait était souhaitable que cette approche ait lieu au Caire. Mais les Etats-Unis envoient aujourd’hui un signal très fort qui est : “Je suis le garant de la démocratie dans le monde arabe, que les dictateurs fassent très attention à ce qu’ils feront à leur peuple car je suis là pour accompagner les peuples dans leur processus de démocratisation”.
Et c’est aussi le reflet d’une volonté des Américains de rester présents dans le monde arabe en dépit du discrédit sur la question irakienne et en dépit de leurs frilosités sur la question israélo-palestinienne et sur le printemps arabe. On est dans quelque chose de nouveau qui permet aussi aux Etats-Unis de se placer dans une position de leadership face à la France ou à la Grande-Bretagne.
Comment les populations reçoivent-elles ce discours ?
– On va dire que les gouvernements tunisiens et égyptiens sont plutôt heureux. Du point de vue des peuples il y a une méfiance. Obama avait soulevé un certain espoir dans le monde arabe au lendemain de son élection. Et il avait extrêmement déçu notamment sur la question israélo-palestinienne.
L’habileté c’est d’avoir dans son dernier discours lié la question de la démocratisation au conflit israélo-palestinien, faisant comprendre qu’il ne peut y avoir de démocratisation dans le monde arabe que s’il y a des avancées sur ce dossier là en faveur de la reconnaissance d’un Etat palestinien, mettant en avant que la démocratisation doit bénéficier aussi aux Palestiniens.
Le discours ne peut être que bien accueilli mais la déception occasionnée par les premières années d’Obama sur la question israélo-palestinienne fait qu’il y a une certaine prudence, une certaine attente, voire une certaine méfiance.
Le fait que les Etats-Unis ne soient pas intervenus auprès de l’Arabie saoudite concernant le Bahreïn renforce cette méfiance ?
– Effectivement, les populations sont encore échaudées sur la question irakienne qui n’est pas réglée, sur la question israélo-palestinienne mais aussi sur la politique un peu schizophrène qui consiste à dire que les populations doivent se libérer mais à laisser le Conseil de coopération du Golfe réprimer la population bahreïnie.
Cela dit, pour la première fois, Obama a cassé le tabou de la zone protégée du Golfe en disant que la démocratie n’est pas que pour les Egyptiens et les Tunisiens mais aussi pour ces États là qui sont leurs alliés naturels. Certes il est prudent mais aborde tout de même la question subtilement. Il y a une petite évolution qui laisse bien sûr les populations sceptiques.
Le discours de Barack Obama dépasse enfin l’horizon autoritaire mais en même temps reste prudent, il marque une rupture philosophique mais reste attendu au tournant par les populations aussi bien sur le dossier israélo-palestinien que sur celui du Golfe. Il arrive en effet un peu tard et prête le flanc aux critiques en raison de la politique à géométrie variable des États-Unis dans le monde arabe.
Mais, enfin, les Américains font de la démocratie la question centrale dans le monde arabe et en cela, dans cette rupture, ce discours est historique.
Interview de Vincent Geisser, spécialiste du monde arabe, chercheur à l’Institut de recherches et d’études sur le monde arabe et musulman, par Céline Lussato
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