Il est maintenant officiel que les États-Unis négocient avec les talibans. C’est le secrétaire à la Défense qui a révélé ce secret de polichinelle dimanche, confirmant ce que le président afghan avait dit la veille. Il faut y voir un effet Ben Laden, combiné à une forte volonté de mettre un point final à l’aventure afghane. Un retrait rapide, souhaité par la population américaine, devient non seulement honorable, mais stratégiquement justifié puisque la guerre a perdu sa principale raison d’être avec la mort du chef d’al-Qaïda.
On savait depuis longtemps que Washington discutait «secrètement» avec certains représentants des talibans. Mais le fait de l’admettre ouvertement est important, car depuis septembre 2001, les Américains avaient toujours prétendu qu’ils vaincraient ces extrémistes coûte que coûte. Aujourd’hui, ils reconnaissent, sinon leur défaite, du moins l’échec de leur stratégie de contre-insurrection.
Depuis quelques jours, les talibans ne sont plus soumis aux mêmes sanctions onusiennes que les membres présumés d’al-Qaïda, ce qui devrait favoriser la conclusion d’une entente. D’autre part, Washington n’exige plus qu’ils adhèrent à la Constitution de leur pays pour les admettre à la table des négociations. Ce sont là des changements qui inquiètent les défenseurs des droits de la personne et les partisans de l’émancipation des femmes.
On est tenté de dire: retour à la case départ. Mais laquelle? Celle de 1989, celle de 1996 ou celle de 2001? En 1989, les troupes soviétiques s’étaient retirées de l’Afghanistan, ouvrant la voie à une guerre fratricide entre les factions qui les avaient combattues. Le scénario pourrait se reproduire, sauf qu’on essaie de l’éviter en préparant un nouvel arrangement politique avant le retrait définitif, prévu en 2014. Ce plan comprend donc les talibans, qui s’étaient emparés de Kaboul en 1996 avec la bénédiction tacite de l’Occident, avant d’en devenir les ennemis jurés. En décembre 2001, les grandes puissances s’étaient entendues à Bonn sur un arrangement politique pour l’Afghanistan post-taliban. Dix ans plus tard, la communauté internationale se rencontrera de nouveau dans cette ville allemande pour discuter de la suite des choses.
Hamid Karzaï voulait-il embarrasser les Américains quand il a vendu la mèche samedi dernier? Il avait des raisons pour le faire. Son Haut Conseil pour la paix, qui essaie depuis des mois de réconcilier tout le monde, y compris les talibans, semble avoir été mis sur la touche par Washington, qui ne porte pas le président afghan dans son coeur.
La guerre en Afghanistan a coûté environ 425 milliards aux Américains, selon le site costofwar.com. Elle a déjà duré plus longtemps que l’occupation soviétique. Avec leurs alliés, nos voisins du Sud ont aussi investi des sommes importantes, quoique beaucoup plus modestes, dans la reconstruction du pays, avec des résultats tout aussi modestes.
De nombreux Afghans ont hâte de voir partir les soldats qu’ils considèrent comme des envahisseurs. Plusieurs d’entre eux croient même que l’occupation est la source de l’insécurité plutôt qu’une façon d’y mettre fin. Ils souhaitent non seulement le départ des soldats étrangers, mais également la fin des interventions de toutes sortes dans leurs affaires. On les comprend, mais il est improbable que leur voeu se réalise. L’Afghanistan n’occupe pas seulement une position stratégique au coeur de l’Asie. On sait depuis peu qu’il regorge des minéraux qui servent à fabriquer les produits qu’on dit «verts», «intelligents», ou les deux.
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