L’affaire DSK et le procès pour infanticide de Casey Anthony révèlent un système médiatique prêt à s’immiscer sans scrupule dans les affaires de justice.
Ce mardi 5 juillet, Nancy Grace est furieuse. «Je ne vais tout de même pas laisser un jury à la gomme arrêter la justice !», lance cette présentatrice vedette de la chaîne d’information continue HLN, cadette de CNN. Quelques minutes plus tôt, Mme Grace, coupe blonde au carré, regard vengeur, voix de crécelle et tailleur chic, a prédit que Casey Anthony allait être condamnée à la peine de mort.
Depuis qu’elle s’est emparée de l’affaire Anthony, cet ancien procureur originaire de Géorgie, devenue une «star» du petit écran, a décidé que la jeune femme de 25 ans était coupable d’avoir assassiné sa petite fille de 2 ans, Caylee, pour vivre sa vie en boîtes de nuit. Jour après jour, mois après mois, avec un acharnement qui a suscité une véritable hystérie collective – des millions d’Américains se mettant à suivre son show -, elle a commenté les rebondissements de cette affaire, y gagnant beaucoup d’argent et de notoriété.
Mais, loin de peser le pour et le contre, Grace a toujours instruit à charge, convoquant sur son plateau les invités qui noircissaient l’image de la jeune mère, passant en boucle, jusqu’à la nausée, des vidéos émouvantes de la petite fille, des images de sa jeune maman dans des tenues aguicheuses et des photos de sacs plastiques censés contenir les restes de l’enfant. «Dans cette ambiance d’hystérie, tout le monde a crié coupable !», a reconnu sur les ondes une journaliste de CNN. Alors, quand le verdict des jurés est tombé à 14 h 30 mardi, innocentant Casey Anthony faute de preuves irréfutables, Nancy Grace a vu s’écrouler «son procès».
Pressions financières
Loin de s’interroger, la justicière du petit écran a redoublé d’invectives, affirmant qu’elle continuerait de juger Casey Anthony devant le tribunal de l’opinion. Elle a dépêché des journalistes devant le restaurant où les avocats de la défense dînaient après leur victoire, déversant sa colère sur leur capacité à tromper des jurés «irrationnels». Alertés par HLN, des passants chauffés à blanc ont accouru devant le bistrot pour dénoncer le verdict. Le patron a dû sortir dans la rue pour expliquer qu’il n’était pas responsable de ses clients ! Un comportement qui révèle le déchaînement de l’opinion avide de «pain et de jeux» judiciaires.
Le même type de frénésie a prévalu à propos de l’affaire DSK, révélant un système médiatique prêt à s’immiscer sans scrupule dans les affaires de justice. Partout, on a vu passer en boucle les images de Dominique Strauss-Kahn, des poches sous les yeux, mal rasé, hagard et menotté, tandis qu’il est amené, le jour de son arrestation, au tribunal, pour qu’on lui présente les chefs d’accusation d’agression sexuelle formulés contre lui. Il y a eu aussi la fameuse photo prise illégalement par un gardien de prison dans sa cellule de Rikers Island et transmise aux journaux à scandale, où il a déjà l’air d’un condamné.
Ceux qui défendent le droit de la presse, au nom du 1er Amendement de la Constitution, ont beau jeu de dire que le tribunal médiatique existe partout et qu’il n’a finalement pas empêché la justice américaine d’agir en toute indépendance – puisque les jurés ont disculpé Casey Anthony et que le procureur de New York a fait libérer DSK sur parole. Mais d’autres voix réclament un débat sur les écueils de cette médiatisation à outrance, invoquant les dégâts sur l’accusé. «CNN devrait avoir honte d’avoir mis les considérations d’argent et les taux d’audimat au-dessus des exigences d’une couverture honnête», estime l’éditorialiste James Poniewozik dans Time Magazine. L’affaire Anthony, «combinée à l’effondrement apparent de l’affaire Dominique Strauss-Kahn, montre une presse prête à sauter sur des conclusions rapides», s’inquiète-t-il.
Le conseiller municipal de New York David Greenfield réclame aujourd’hui l’interdiction du perp walk ( que l’on peut traduire par «chemin du criminel», perp étant l’abréviation de «perpetrator»). Cette pratique remontant au XIXe siècle consiste à faire sortir du commissariat les personnes arrêtées pour que la police puisse les livrer menottées en pâture aux flashs des reporters. Censé avoir un effet «éducatif», le perp walk a été défendu par le maire de New York, Michael Bloomberg, au début de l’affaire DSK. Mais, avec le retournement de vendredi, qui a mis en évidence la fragilité du témoignage de la femme de chambre, il a changé d’avis : «On salit les accusés pour le bénéfice de la mise en scène, du cirque», a-t-il rectifié, donnant raison aux Français, qui interdisent de telles pratiques au nom de la présomption d’innocence.
Pourtant, peu d’observateurs pensent que les choses changeront. Trop de pressions politiques et financières se conjuguent pour perpétuer le «cirque médiatique». En 2006, la présentatrice Nancy Grace avait convoqué sur son plateau une jeune mère, Melinda Duckett, dont le petit garçon avait disparu. Elle l’avait interrogée avec dureté, sous-entendant qu’elle n’avait pas fait tout ce qui était nécessaire pour le surveiller. Le lendemain, la jeune femme se suicidait. Malgré une vague d’émoi, le show du «procureur Grace» a continué.
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