The Summer of Fear

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L’été de la peur

Jamais l’angoisse du lendemain, jamais le discrédit de la politique, jamais le sentiment d’impuissance, jamais la colère n’auront été aussi largement partagés.

Londres brûle, sous les coups combinés d’un banditisme fascisant, d’une jeunesse désespérée et d’une implacable et dogmatique austérité budgétaire venue d’en haut. Les indignados défilent à Madrid, après Athènes — articulant mieux ce qu’ils refusent que ce qu’ils veulent précisément —, mais aussi se préparent à faire de même à Lisbonne, à Rome, à Paris, à Bruxelles…

Dans une Europe inquiète et désarticulée, seule l’Allemagne semble s’en tirer, faisant de plus en plus bande à part avec son «modèle» économique à la fois admirable (travail acharné, concertation sociale, innovation, exportation) mais inexportable parce que le principal créneau occupé — ces super «machines-outils» qui sont à la base de toute la chaîne industrielle mondiale — est une exclusivité allemande, sans équivalent.

Résultat de cette exception germanique: Berlin, de plus en plus, est un «mauvais sujet» européen, et la chancelière Angela Merkel semble avoir renoncé à tout leadership continental. Un peu nationaliste, elle surfe sur la vague antigrecque dans son pays, tout en essayant mollement de la tempérer. Et elle finit par dire «oui» lorsqu’à Bruxelles on l’implore, dix fois de suite, de lâcher du lest — et quelques milliards d’euros — pour tenter désespérément de sauver l’Union.

Tandis que la croissance et surtout la foi dans l’avenir ont largement déserté un Occident au déclin lent mais apparemment inexorable — rentier qui n’a plus les moyens de son hégémonie passée —, cet Occident s’offre tout de même des émotions de «vieux riche compatissant», en versant des larmes, et quelques sacs de nourriture, sur la Corne de l’Afrique asséchée et affamée.

Soulignons en passant — et sans minimiser la souffrance des Somaliens soumis, depuis deux décennies, à une espèce de super-guerre de gangs et au chaos politique total (absence d’État) — qu’une fois de plus, l’intensité médiatique n’est pas proportionnelle à la gravité mesurable et objective des catastrophes: la Corne de l’Afrique souffre, mais probablement moins, tout compte fait, que lors des grandes famines antérieures, celles de 1984-1985 et de 1991-1992, dans la même région du monde.

Et on ne parle pas des plus grandes famines du dernier demi-siècle, celles de Chine en 1959-1961 (plus de 30 millions de morts) et de Corée du Nord en 1996 (entre 1 et 3 millions de morts) qui se sont déroulées à huis clos, dans le silence des médias occidentaux. Ceux-ci, en fait, étaient plutôt bienveillants envers Mao Zedong au début des années 1960, alors même qu’il affamait le peuple chinois avec un cynisme sans limites.

Aux États-Unis, un groupe d’extrême droite représentant 10 % de l’électorat a réussi à imposer son programme à l’ensemble du Parti républicain, lequel à son tour domine toute la politique américaine avec sa majorité à la Chambre basse.

Barack Obama, à l’orée de la dernière année de son mandat, complète sa pathétique transformation de conférencier inspiré à eunuque politique, ligoté et bâillonné par les hordes du Tea Party à qui il cède 90 % du terrain, mais qui en redemandent toujours.

Obama dont la réélection, néanmoins, reste curieusement possible, s’il fallait que les républicains décident d’envoyer à la présidentielle de 2012 leurs plus délirants éléments. Ce qui n’est pas à exclure, lorsqu’on voit la surenchère extrémiste et le freak show qui, jusqu’à maintenant, semblent tenir lieu de course à l’investiture républicaine. Démocratie malade, inondée d’argent et désertée par les idées…

Malgré son caractère en partie arbitraire et improvisé, malgré l’arrogance des financiers qui ont retrouvé leur superbe d’avant 2008 sans avoir été «remis à leur place» (alors que l’occasion de le faire, il y a trois ans, était bien là), la valse folle des Bourses, en cet été 2011, est un lointain reflet du désarroi économique et politique qui afflige l’Europe et l’Amérique du Nord.

La tendance est négative, et les oracles parlent désormais d’une nouvelle plongée dans la récession. La chute précédente, celle de 2008, n’a pas opéré de «purge» et n’a pas réglé les problèmes fondamentaux des économies occidentales: emploi et demande anémiques, et ensuite — mais ensuite seulement — la dette et les déficits, qui semblent en 2011, pour le plus grand malheur des chômeurs et des affamés, obséder politiciens et médias à l’exclusion de toute autre question.

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