Poor America

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Pauvre Amérique

“Les Kennedy”, “Mad Men”, “Band of Brothers”, “The Pacific” et bientôt “Pan Am” : à travers ses séries télé à succès, l’Amérique se penche sur son passé récent, au risque de le trouver lointain. Entre 1940 et 1970. Quand, aux Etats-Unis, il était noble de se lancer dans la politique, marrant de bosser dans la pub, bien de faire la guerre. Lorsqu’il était permis de boire beaucoup, joli de fumer sans arrêt, élégant de manger trop. Les voitures étaient construites pour aller vite comme aujourd’hui, à la différence qu’on allait vite avec. Etre obligé de rouler à 110 kilomètres/heure quand l’auto peut faire du 220 kilomètres/heure, c’est comme si on n’avait le droit de lire que la moitié d’un livre. La nostalgie, camarade américain. Outre-Atlantique, on n’en peut plus du présent qui n’est pas un cadeau. La vie semble s’être mise à ressembler, années Clinton après années Reagan, à : un huissier de justice en rogne, une cuillerée d’huile de foie de morue, une bière sans alcool, des nouilles trop cuites, un lundi après-midi d’automne.

Qu’est-il arrivé à l’Amérique pour qu’elle aborde le XXIe siècle dans des loques qui ressemblent à une tenue de prisonnier, elle qui entra toute pimpante d’élégance morale et physique dans le XXe, où elle allait faire les étincelles que l’on sait ? Comment cette nation de rêve, qui tenait lieu de phare, pendant tout le siècle dernier, à l’humanité, est-elle devenue, de nos jours, un objet de répulsion, y compris pour elle-même ? Hargneuse, mystique, procédurière, irrationnelle, homicide, inculte : telle nous apparaît cette Amérique qui fut naguère joviale, ironique, cool, rationnelle, pacifique, cultivée. Les Américains ont faim. Les gros parce qu’ils sont au régime, les moins gros parce qu’ils sont au régime aussi. Les Américains ont soif, les alcooliques parce qu’ils ont arrêté de boire et les non-alcooliques parce qu’ils ne veulent pas devenir alcooliques. Les Américains se privent de sexe parce qu’ils ne veulent pas mourir et de parole parce qu’ils ont peur de déplaire. Le dernier grand roman américain date de 1979 : “Le choix de Sophie”, de William Styron. Depuis, c’est pipi de chat Roth et caca de chien McCarthy. Le dernier grand film américain, “Apocalypse Now” (1979). En art, après la mort de Basquiat, que dalle. En musique, Jimi Hendrix a fermé la marche que Lady Gaga a ratée.

Haïs dans presque tous les pays du globe au point qu’ils n’y contruisent plus des ambassades mais des châteaux forts, les Américains viennent d’ajouter un vice à leur situation internationale déplorable : la pauvreté. J’ai reçu récemment, à Paris, au mois d’août, une amie journaliste américaine. Ce n’est pas elle qui aurait pu, comme Hemingway au début des années 20, se taper une douzaine d’huîtres et une carafe de muscadet à La Closerie des lilas. Heureusement que j’étais là pour régler l’addition. Elle me faisait trop de peine, l’Américaine, à surveiller le compteur de taxi chaque fois qu’on allait quelque part dans Paris. Qu’est-ce que ça aurait été si je lui avais fait visiter Montreuil, la ville de mon enfance. Le dollar : nouvelle monnaie de singe d’un pays dégradé ?

Et si l’Amérique était en train de redevenir, après un bref moment d’éclat mondial, ce qu’elle était au début de son histoire : une puissance secondaire, provinciale, presque anonyme, sujette au fanatisme religieux et au repli sur soi ? Plus dure sera la chute du Dow Jones.

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