La leçon du 11-Septembre
Le site du World Trade Center, après l’attaque du 11 septembre 2001.
AFP PHOTO/Alexandre Fuchs
Dix ans après les attentats de New York et Washington, l’Amérique n’a pas perdu son leadership. Mais elle n’est plus l’unique moteur d’un monde plus incertain que jamais. L’analyse de Christian Makarian, directeur de la rédaction délégué de L’Express.
Avec dix années de recul, le principal effet du 11-Septembre est d’apparaître comme un symbole frappant, un repère historique, un tournant essentiel. Tel l’attentat de Sarajevo, en 1914, la crise des missiles de Cuba, en 1962, ou la chute du mur de Berlin, en 1989, l’effondrement des Twin Towers et l’attaque simultanée contre le Pentagone apportent non seulement la confirmation que “l’histoire est tragique” mais marquent surtout une date clé qu’il faut patiemment décrypter.
Ce n’est pas, en effet, la victoire du terrorisme, remportée ce jour-là, qui reste inscrite dans les faits – même si le terrorisme est désormais une donnée constitutive et ineffaçable des relations internationales. Encore moins le soulèvement général du monde arabo-musulman contre l’Occident que voulait provoquer Al-Qaïda. Malgré l’indiscutable force d’attraction exercée par Ben Laden, son temps a passé et il est passé de vie à trépas, dix ans après avoir meurtri New York, sans soulever de grande émotion. Même le monde arabe a pris un tout autre tournant et cherche, à tâtons, une autre voie qui représente enfin la symbiose entre modernité et identité musulmane – soit le contraire de ce à quoi aspirait Ben Laden.
Ce qui reste du 11-Septembre est tout autre qu’un affrontement. C’est – effectivement – l’entrée dans un nouveau siècle – que l’on avait cru voir naître en 1989. Celui qui se caractérise par la fin de l”hyperpuissance, selon le terme forgé par Hubert Védrine. Loin de perdre leur suprématie totale dans bien des domaines – militaire, scientifique, technologique, culturel, et tant d’autres encore – les Etats-Unis voient en revanche fondre leur prétention impériale, dans sa défintion universelle et non discutée, comme la cire fond au feu. L’Amérique ne recule pas encore, mais elle cesse clairement d’avancer, ou plutôt, de s’avancer comme puissance unique d’un monde dont les particules s’accélèrent.
L’idée d’un “leading from behind”, propulsée par Obama, est la constation de cette césure historique; ce n’est pas une cassure, c’est une rupture de rythme. A l’inverse de l’URSS, l’Amérique na pas vocation à s’effondrer et à disparaître en tant qu’entité ou utopie; mais elle doit maintenant partager, composer, ouvertement transiger – et c’est cela qui est en soi une évolution, LA leçon du 11-Septembre. L’atteinte de l’Amérique en son coeur a sonné comme le glas de cette période confuse et arrogante – entre 1989 et 2011 – où la planète a fonctionné sur un seul cylindre. Le moteur comporte maintenant de nombreux cylindres, lesquels ne sont pas synchronisés. La perte de visibilité est donc grande et les signe sprometteurs aussi multpiles que les signaux de désespoir.
Mais il est certain que “leading from behind” va changer en profondeur les rapports internationaux et que l’impact de cette évolution stratégique est aujourd’hui impossible à mesurer a priori – que l’on songe au conflit israélo-palestinien, par exemple. Beaucoup de surprises et de retournements sont à attendre. Prenons un seul exemple, celui du printemps arabe. Alors que les Etats-Unis ont notoirement échoué à imposer la démocratie en Irak, c’est maintenant l’aspiration démocratique des peuples arabes qui vient ébranler les régimes et menacer les positions stratégiques américaines au Moyen-Orient. Le monde est plus incertain que jamais, mais par delà les cultures et les latitudes les espoirs de l’humanité sont de plus en plus proches les uns des autres. La loi du “méchant” n’a pas triomphé; le règne du “bon” n’a pas prévalu. Tout est plus complexe, plus fertile aussi. Dix ans après le 11 septembre 2001, la terre est encore à civiliser.
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