Une sombre décennie
Le Droit — Pierre Jury
le 10 septembre 2011
Dix ans déjà depuis la tragédie du 11 septembre 2001. La plus difficile épreuve a été évidemment celle des familles des victimes. Chaque mention du triste anniversaire doit rappeler l’immense vide que leur départ soudain a créé. Pour tous les Nord-Américains, et pour des millions d’autres à travers le monde, le 11 septembre a marqué un resserrement des pratiques de sécurité autour de nombreux gestes du quotidien. Cela va du bénin comme d’éviter les pylônes de ciment autour de l’ambassade des États-Unis à Ottawa, aux ennuis incessants nourris par l’obsession de la sécurité dans les aéroports, aux frontières, autour du Parlement et des édifices fédéraux, etc.
Bref, pas moyen d’oublier que le monde a changé, ce jour-là. La formule est éculée mais elle s’est avérée : plus rien n’était pareil après que les États-Unis ont été la cible de cette attaque sanglante.
D’un statut de virtuel inconnu, Oussama ben Laden est passé au rang d’un criminel mondialement reconnu et recherché. Un peu partout, des émules s’inspirant de l’action terroriste du mouvement al-Qaïda ont poursuivi leurs attentats, entre autres, au Maroc en 2003, en Espagne en 2004, et en Angleterre, en 2005, en Algérie en 2007. D’autres cellules qui s’inspirent plus ou moins librement d’al-Qaïda ont revendiqué d’autres attaques terroristes, surtout au Moyen-Orient.
Le Canada a été épargné, mais plusieurs rappellent à intervalles réguliers – et encore cette semaine – que ce sentiment de sécurité ne nous place pas à l’abri de toute attaque. Plusieurs y ont pensé. Rappelons l’arrestation en 2006, à Toronto, de 18 islamistes qui complotaient des attentats contre des centrales nucléaires, la Gendarmerie royale du Canada à Ottawa et le Parlement.
Tout ceci justifie, aux yeux de plusieurs, toutes les mesures de sécurité qui ont modifié nos comportements depuis 2001. En ce sens, la théorie à l’effet qu’al-Qaïda a gagné son pari tient la route jusqu’à un certain point. Toutes ces mesures préventives rappellent aux Canadiens l’existence d’une menace islamiste. Nos budgets de sécurité ont explosé. Dans le cas des États-Unis, Radio-Canada a avancé que tous ces dispositifs coûtaient au bas mot 92 milliards $ par an, cinq fois plus qu’avant 2001. Ce qui signifie qu’en plus de subir des désagréments, les contribuables doivent aussi en payer la facture. En temps normal, ça va. Mais quand l’économie chancelle, tous ces milliards sont des poids sur une éventuelle reprise.
Évidemment, ces milliards ne sont rien en comparaison des centaines de milliards que les États-Unis ont engouffrés dans deux guerres au XXIe siècle. Il y a d’abord eu celle de l’Afghanistan, à partir d’octobre 2001, à laquelle le Canada a contribué sous la houlette du Conseil de sécurité des Nations unies. Et puis il y a eu la plus onéreuse, celle de l’Irak, à partir de mars 2003, limitée aux Américains, Britanniques et quelques alliés. Le refus du Canada, par la voix du premier ministre Jean Chrétien, a jeté un froid sur les relations Canada-États-Unis.
Le président George W. Bush a incarné cette seconde guerre et jusqu’à un certain point, il doit aujourd’hui assumer la responsabilité du gouffre économique de son pays aujourd’hui (dopé, il est vrai, par un marché boursier et immobilier cupide).
Le capital de sympathie que les Américains, victime de l’attentat du 11 septembre, s’est évaporé. Le président Bush a divisé le monde entre bons et méchants, axe du bien et axe du mal. Dix ans plus tard, nous tentons toujours d’émerger de cette vision manichéenne ; le virage à droite des principaux gouvernements du monde (Canada, France, Allemagne, Japon, Angleterre, etc.) nous la remet en plein visage. Les États-Unis, qui ont tenté le pari du changement avec le « Yes we can » du président Barack Obama, sont désillusionnés parce que leur économie tarde à se remettre de tous ses maux… et la frange de droite qui a émergé du chaos, le Tea Party, en profite.
L’année 2001 a été suivie de quelques années d’incertitude, puis d’une crise économique. Une décennie difficile, douloureuse, vécue dans le doute et l’incertitude. Certainement pas l’idéal de paix et de plénitude que les prévisionnistes entrevoyaient pour les années 2000. Comment conclure autrement qu’en croyant que le côté sombre du monde l’a emporté jusqu’ici ?
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