Les Israéliens n’ont pas tort quand ils disent que la paix avec les Palestiniens ne résoudraient aucun des problèmes qui divisent les musulmans. Sauf qu’une telle paix changerait le visage de l’Occident aux yeux du monde arabe, et priverait les fanatiques de ce qui est souvent leur raison d’être.
Dans le contexte actuel des révolutions arabes, le dixième anniversaire des attentats du 11 septembre 2001 contre les tours du World Trade Center mérite une réflexion particulière. Car l’événement a constitué une vraie rupture historique, à l’origine de toute une série de guerres, de comportements et de situations qui ont modifié l’équilibre planétaire. Ce jour-là, les États Unis sont pour la première fois agressés sur leur sol et découvrent qu’ils cessent de détenir cette maîtrise du monde que la chute du mur de Berlin avait consacrée en 1989. Ils réalisent de plus qu’ils devront désormais affronter une forme de guerre jusque-là totalement imprévue à laquelle ils ne sont nullement préparés.
L’audace, l’imagination et la longue préparation des attentats supposaient une logistique très sophistiquée installée chez eux depuis longtemps. Tout a donc du être brutalement remis en question : l’incapacité de l’exécutif de Washington à tenir compte des renseignements fournis par la CIA puisque ses chefs ont établi ensuite qu’ils savaient tout sur le projet de groupes islamistes de procéder à un exploit spectaculaire.
Ce qui m’intéresse le plus ici, c’est que l’arme fulgurante a été utilisée au nom d’une religion, l’Islam, contre la superpuissance qui incarne l’Occident. J’ai noté, qu’à partir de ces attentats, et tandis qu’au XX ème siècle… nous avions subi des idéologies qui fonctionnaient comme des religions, nous aurions désormais affaire à des religions qui fonctionnent comme des idéologies. J’irai jusqu’à dire aujourd’hui que l’islamisme est l’une des seules sinon la seule idéologie de ce début du XXI éme siècle. C’est en son nom que les stratèges ont prétendu franchir la première étape d’une guerre des civilisations tout à fait conforme à la définition de Huntington : ce n’est pas un conflit de proximité, ce n’est pas un conflit de puissance, c’est un conflit de valeurs.
Sans doute les attentats ont-ils permis aux États-Unis de vérifier et parfois de découvrir la profondeur et la densité du sentiment d’appartenance des citoyens américains à leur nation. Les minorités noire et même musulmane, comme celle des latino-américains, ont manifesté un patriotisme qui en a imposé au monde entier. Ce fût la seule vraie et grande victoire de cette société dont le ciment n’est pas une histoire commune mais le seul respect de la constitution. Reste que cette nation si unie n’a cessé de susciter à l’extérieur un anti-impérialisme qui s’est traduit par une haine tenace et organisée de l’Occident tout entier.
Tous les Occidentaux où qu’ils se trouvaient, se sont sentis indirectement visés par les attentats du 11 septembre et ont affirmé leur fervente solidarité avec le peuple américain. Mais ils se sont refusés à observer que, pratiquement, tous les musulmans – qu’ils résident dans les Etats arabes ou en Occident – éprouvaient quant à eux un intense sentiment de fierté. C’était la première fois que l’humiliation séculaire infligée par les « impérialistes » était vengée. Ce que le légendaire Fidel Castro avait réussi à faire contre les « Gringos », les héros de l’Islam venaient enfin de l’accomplir. En tout cas, tous les musulmans aux Etats-Unis ou en Occident devenaient plus ou moins suspects et la séparation des civilisations avait bel et bien commencé.
Lorsqu’en 1993, Saddam Hussein annexe le Koweït, les Américains, à la demande notamment de l’Arabie saoudite et d’Israël, infligent à l’Irak une punition sans merci, avec le consentement de tous les membres des Nations Unies, sauf Cuba. Georges Bush père manifeste ainsi que les Etats-Unis sont bien le gendarme du monde depuis que l’Union Soviétique a implosé. Et ce privilège que, huit ans plus tard, les auteurs des attentats de Manhattan ont paru abolir, Georges Bush fils ne pensera plus qu’à le reconquérir. Avec Sharon à leur tête, les Israéliens s’en avisent aussitôt. Cette croisade contre le terrorisme, c’est la leur. On ne peut plus rien leur refuser. Ils obtiennent du président américain que le leader palestinien Arafat, qui a pourtant désavoué les attentats du 11 Septembre, soit rangé parmi les complices du terrorisme. Mais en acceptant de faire de la sécurité d’Israël un objectif privilégié de leur politique étrangère, les Américains vont empoisonner tous les rapports du monde arabe avec l’Occident.
C’est dans cette situation alarmante qu’un jeune métis américain, qui ne sait pas encore qu’il va devenir président des Etats-Unis, conçoit le projet d’en finir avec la guerre des civilisations et de faire disparaître dans l’image que son pays offre au monde, notamment arabe et musulman, le visage de la supériorité et de l’arrogance. Et un jour, Barak Obama, puisqu’il s’agit de lui, va développer cette thèse dans un discours historique qu’il prononce au Caire. Mal renseigné par ses collaborateurs, pourtant juifs et parfois même israéliens, il a cru pouvoir compter sur Israël pour aider au changement de visage de l’Occident en s’alliant aux musulmans qui étaient les principales victimes du terrorisme, et en concluant une paix juste avec les Palestiniens. Le Premier ministre Benjamin Netanyahou refuse brutalement d’envisager une telle stratégie qui aurait pourtant assuré le salut d’Israël. Il bafoue publiquement Obama, se fait acclamer par le Congrès à Washington et oblige le président américain a rendre les armes. L’histoire sera sévère pour les responsables israéliens de cette obstination dans le refus de la paix.
Où en sommes-nous aujourd’hui ? Pourquoi les islamistes radicaux ne sont-ils pas arrivés à franchir la seconde étape de leur guerre de civilisation ? Essentiellement pour deux raisons : la première, c’est que ce qui caractérise l’histoire de l’islam et des Arabes c’est la division. Près d’un million de morts entre l’Irak et l’Iran. Cent cinquante mille victimes durant la guerre civile en Algérie. Cette histoire est celle d’une malédiction depuis qu’au départ les héritiers du Prophète se sont entretués.
La seconde raison, c’est que l’islamisme ne réunit pas les pays d’islam, il les divise, et que l’aspiration à la démocratie qui caractérise le printemps actuel des Révolutions arabes implique un renoncement à la terreur nihiliste. En tout cas, l’analyse de Barak Obama demeure irréfutable : il dépend en grande partie de l’Occident d’en terminer avec la guerre des civilisations.
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