Le mouvement des Indignés de Wall Street trouve un écho dans la classe moyenne, victime de la crise. Une contestation qui peut gêner le président américain.
Zuccotti Park, dans le sud de Manhattan, a longtemps été connu pour son étrange statue de bronze représentant un businessman assis sur l’un des bancs, sa mallette sur les genoux, contrepoint ironique aux arrogants gratte-ciel qui l’encerclent. En installant leurs tentes ici, au coeur du quartier de la finance, le 17 septembre, une cinquantaine de manifestants, transfuges de l’altermondialisme, étudiants libertaires et proto-hippies, entendaient protester contre le “pouvoir du fric”.
Mais cette version new-yorkaise des Indignés de Madrid semble avoir cristallisé, peu à peu, les anxiétés et les colères américaines. Car le mouvement “Occuper Wall Street” se propage dé¬sor¬mais à Boston, Chicago, San Francisco et dans plus de 1300 autres villes, suscitant les attaques outrées des élus républicains et des réactions ambiguës de la Maison-Blanche.
1% de la population détient 20% de la richesse
Sans direction ni revendication précises, les Indignés américains peuvent constituer un atout ou un handicap pour le camp démocrate, à l’image du Tea Party, côté républicain. Obama aimerait sans doute surfer sur cette vague de mécontentement, mais le président redoute, et pour cause, l’effet boomerang de ses accents populistes.
Hormis les manifestations antimondialisation, les Etats-Unis n’ont pas connu de protestations de cette ampleur depuis les grands rassemblements antiguerre de 2003. A New York, la police a compensé son inexpérience des mouvements sociaux spontanés par une application robotisée et parfois hargneuse des règlements, passant les menottes avec un zèle comique, le 1er octobre, à quelque 700 contrevenants coupables d’avoir obstrué la chaussée du pont de Brooklyn lors d’un défilé. Ces interpellations ont braqué l’opinion au point d’attirer, quatre jours plus tard, plusieurs milliers de manifestants supplémentaires vers Wall Street. Ils étaient accompagnés, pour la première fois, d’importantes délégations de huit syndicats.
Les démocrates auront plus de mal à digérer ce mouvement que les Républicains n’en ont eu avec leur Tea Party
“Nos organisations ont besoin de leur énergie, déclarait ce soir-là Stuart Appelbaum, président de la Fédération des employés du commerce. Ils enthousiasment un public que nous cherchons à atteindre depuis des années.” Une allusion aux jeunes, frappés par un taux de chômage sans précédent ou employés à des salaires très inférieurs au niveau d’avant 2008, ce qui rend plus aléatoire le remboursement de leurs études. Endettés en moyenne de plus de 24 000 dollars à leur sortie de l’université, les étudiants sont nombreux à venir crier leur colère, à Wall Street, contre les profits et les bonus des banquiers. Leur mobilisation rencontre un écho chez leurs parents de la classe moyenne, dont le pouvoir d’achat ne cesse de baisser depuis une quinzaine d’années.
En 1990, les ménages les plus riches, soit 1% de la population, détenaient 10% de la richesse nationale; ils en posséderaient aujourd’hui 20%… Les slogans en vogue au Zuccotti Park contre les inégalités sociales – “Nous sommes les 99%” – pourraient figurer dans la campagne nationale engagée par Barack Obama en faveur d’un plan de relance de l’emploi, financé en partie par une hausse des impôts sur les plus hauts revenus. Un projet refusé par les élus républicains du Congrès.
Tout en prenant acte de la “frustration” des Américains, victimes des errements de Wall Street, le président cherche à prendre de la hauteur et rappelle l’utilité d’un puissant système financier et l’efficacité des nouvelles réglementations. En soutenant trop ouvertement les manifestants, les Démocrates craignent de s’aliéner des bailleurs de fonds de campagne et de pâtir d’éventuels débordements gauchistes.
“Si la protestation se muait en un véritable mouvement, les démocrates auraient beaucoup plus de mal à le digérer que les Républicains n’en ont eu avec leur Tea Party”, prédit Robert Reich, ancien secrétaire au Travail de Bill Clinton. Les populistes de droite ont été soutenus par la frange la plus conservatrice du Congrès. Les Indignés de Zuccotti Park, eux, n’ont toujours ni leader ni direction idéologique. En 2012, leurs cris pourraient certes ra-mener aux urnes des électeurs démocrates. Mais ils risquent aussi d’exprimer haut et fort la désillusion, dans une partie de l’électorat, née du premier mandat d’Obama.
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