Charlotte, Four Years Later

<--

Cela s’appelle un “voyage de presse”. La règle est connue : une puissance invitante – politique, économique ou autre – concocte un programme auquel elle convie des journalistes. Son motif consiste toujours à promouvoir un message, qu’elle souhaite maîtriser du mieux possible mais dont le bénéfice, en cas de succès, est très avantageux, comparé aux communiqués officiels ou aux publicités. Le message “bien” répercuté passe alors pour de l’information.

Si le programme est alléchant – des rencontres avec des personnalités nombreuses et difficiles d’accès, par exemple -, les journalistes pensent eux aussi en retirer utilité. Et si le voyage s’avère décevant, ils peuvent toujours aller voir ailleurs.

Votre serviteur était donc invité, il y a dix jours, à Charlotte (Caroline du Nord), pour des rencontres organisées par une agence de relations publiques dont les clients étaient la municipalité et la chambre de commerce avec, en arrière-fond, le comité d’organisation de la convention démocrate qui, au début septembre 2012, intronisera Barack Obama comme son candidat à l’élection présidentielle. Là résidait le motif principal de notre acceptation. Raison subsidiaire : ayant déjà enquêté à Charlotte, il y a quatre ans, comparer un même lieu avant et après la crise financière semblait présenter un réel intérêt.

Premier indice, dès le départ : sur les sept journalistes de ce groupe, nous étions six étrangers, dont quatre Chinois. Lorsqu’on entend parler d’économie dans l’Amérique d’aujourd’hui, les médias chinois sont particulièrement recherchés. Puis est venu l’élément le plus frappant : le programme. Après les hôtes – le maire démocrate, Anthony Foxx, un Africain-Américain de 40 ans dans une ville qui fut un haut lieu de la ségrégation sudiste, et Ronnie Bryant, le président de la chambre de commerce – se sont succédé des rendez-vous avec des dirigeants d’une start-up sino-française dans la chimie récemment installée ici, puis ceux de Siemens, d’Areva et de l’électricien américain Duke, avec des responsables de l’aéroport, le patron d’une unité de soins de pointe en cancérologie, un autre d’un laboratoire spécialisé en dystrophie musculaire, une des nombreuses sociétés automobiles locales participant au championnat américain Nascar (comparable à la formule 1), une unité universitaire renommée de métrologie (science des mesures), etc.,

La surprise, énorme : pas le moindre rendez-vous avec un banquier. Il y a quatre ans, aucun interlocuteur n’oubliait de nous indiquer ce fait injustement méconnu dont les édiles de la ville tiraient une immense fierté : Charlotte constituait le second centre financier des Etats-Unis. Deuxième et quatrième banques de dépôts du pays, Bank of America (BoA) et Wachowia y détenaient leur siège social. Leur activité avait bouleversé la vie d’une cité qui ne cessait de croître, de s’enrichir et de gagner en notoriété, vous expliquait-on constamment. Las. Depuis, Wachowia, plombée par ses engagements sur les titres subprimes, a été rachetée par la banque Wells Fargo juste après l’effondrement de Lehman Brothers, et l’acquéreur a déménagé son siège en Californie. Quant à BoA, elle ne s’est jamais remise de son acquisition de Countrywide, le plus gros détenteur de titres immobiliers “pourris”, puis de sa mainmise sur la banque d’affaires Merrill Lynch et ses gigantesques dettes. Avec une image terriblement ternie, elle est aujourd’hui la banque la plus discréditée du pays (soyons juste : il y a débat pour savoir qui d’elle ou de Citigroup détient ce peu enviable statut).

On comprend mieux pourquoi le maire et les dirigeants économiques de Charlotte n’ont désormais plus aucune appétence à célébrer un secteur dont la capilotade a fait perdre des centaines de millions de revenus annuels à la ville et qui a joué le premier rôle dans le passage du chômage dans les quatre contés environnants de 5 %, en 2007, à 10,5 %, aujourd’hui (27 000 emplois perdus en 2008-2009, 4 000 seulement recréés depuis). Foin de finance, le maître mot des dirigeants locaux, désormais, est : “diversification”. Voilà pourquoi il fallait montrer que des géants de l’énergie sont là, des services de recherche de pointe dans la santé et la high-tech aussi, que Charlotte, vous glisse-t-on en chaque occasion, dispose du 4e aéroport du pays en volume de trafic alors qu’elle n’est que la 20e ville par la population. Montrer aussi qu’une atmosphère business friendly (“favorable aux affaires”) et un cosmopolitisme de bon aloi – les patrons des laboratoires médicaux visités, par exemple, sont l’un australien, l’autre d’origine chinoise – accompagnent son développement, et que les entreprises étrangères y investissent déjà, dans l’espoir de le faire savoir pour en attirer d’autres.

“Nous voulons nous diversifier, accélérer notre accès au marché global, multiplier les synergies entre nos PME et les investisseurs extérieurs, réduire ici les émissions de CO2 de 20 % en 5 ans”, vante le maire. Restons-en là, le “message” nous paraît suffisamment explicite – et significatif.

Au fait, Charlotte est une ville agréable, l’espace, le soleil et l’air pur y sont abondants et les prix très inférieurs à ceux des grandes métropoles.

About this publication