America Rediscovers Europe

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Quand l’Amérique redécouvre l’Europe

Vous êtes devenus un risque majeur pour notre économie ! » Mon interlocuteur n’est pas l’un de ces eurosceptiques américains qui ont toujours prédit l’effondrement final du projet européen. Il a cru à l’euro et à la construction européenne. Il est clair qu’il n’y croit plus aujourd’hui. Il ne se lance même pas dans une polémique inutile. Le moment est trop grave pour cela. Hier, avec la crise du « subprime », les Européens dénonçaient un capitalisme financier américain qui mettait en danger l’économie mondiale. Aujourd’hui, n’est-ce pas l’Europe, avec la crise des dettes souveraines, qui est au coeur du cyclone ? Doit-on parler désormais de l’Europe comme de l’homme malade du monde, de même qu’au XIX e siècle on décrivait la Turquie comme l’homme malade de l’Europe ? Ce qui est certain – et mon interlocuteur en est la preuve -c’est que l’Europe, pour de très mauvaises raisons, est revenue sur les écrans radar de l’Amérique, et ce en réalité pour la première fois depuis les guerres balkaniques, sinon depuis l’effondrement de l’URSS. Au temps de la guerre froide, l’Europe était devenue la première ligne de défense de l’Amérique. Elle était aussi une des preuves tangibles du succès de la politique américaine d’après-guerre. La générosité éclairée du plan Marshall avait payé, l’Europe de l’Ouest n’était pas devenue communiste et n’avait pas rejoint le bloc soviétique. L’Amérique, comme Monsieur Perrichon, le héros du « Voyage de Monsieur Perrichon », de Labiche, nous aimait d’autant plus « qu’elle nous avait sauvés ».

Rien de tel aujourd’hui. Les difficultés de l’Europe renvoient l’Amérique aux siennes. De reflet de ses succès, l’Europe est devenue un miroir de ses limites. Ce n’est pas assez de dire que la crise européenne intervient à un mauvais moment pour les Etats-Unis, rendant plus aléatoire encore l’espoir d’une reprise économique avant les échéances électorales de la présidentielle américaine. « Barack Obama a ignoré l’Europe, elle se rappelle à son attention. » La crise européenne a, certes, des retombées directes sur l’économie américaine, mais elle force avant tout les Etats-Unis à confronter – ce qu’ils se refusent à faire encore -l’entrée dans un nouveau monde qu’ils ne dominent plus comme ils le faisaient hier. Sur ce plan, l’appel à l’aide de l’Europe à la Chine, quelle que soit la réponse peu enthousiaste de cette dernière, est particulièrement difficile à accepter par Washington. Il symbolise les transformations profondes du monde. En 1950, l’Occident derrière les Etats-Unis représentait 68 % de la richesse mondiale. C’est moins de 43 % aujourd’hui et ce ne devrait plus être que 32 % en 2050, selon les projections d’institutions financières comme Goldman Sachs. La Chine est d’ores et déjà devenue la deuxième puissance économique mondiale et le Brésil est en train de devenir la sixième économie de la planète, devançant ainsi la Grande-Bretagne.

Même si elle voulait venir au secours de l’Europe, l’Amérique en serait bien incapable, compte tenu de l’immensité de ses déficits. Il serait cruel d’évoquer la fable de l’aveugle et du paralytique pour décrire l’état de décadence compétitive qui caractérise désormais les relations entre l’Amérique et l’Europe. Certes, l’Amérique souhaite toujours pouvoir s’appuyer sur l’Europe. Sur ce plan, la réussite de l’Otan en Libye apparaît comme un précédent heureux, mais peut-elle servir de modèle ? Un dictateur est tombé pour un coût – les Américains aiment à le souligner -insignifiant pour Washington (0,1 % du coût de leur engagement en Afghanistan). L’Amérique a trouvé une nouvelle formule, « diriger de l’arrière », qui fait déjà l’objet de débats aux Etats-Unis. L’Amérique peut-elle être ailleurs qu’au premier rang ? Certes, ce n’était pas l’Union européenne, mais essentiellement la France et la Grande-Bretagne qui avaient joué les premiers rôles dans cette aventure singulière. Mais l’Amérique, grâce à des puissances européennes, ne s’était pas sentie « seule » dans son interventionnisme humanitaire, elle avait trouvé des relais. Où les trouvera-t-elle demain si l’Europe, en pleine tempête financière, politique et identitaire, se trouve contrainte de se replier frileusement sur elle-même pour gérer ses plaies ? Le rêve de l’Amérique était de ne plus avoir à se soucier de l’Europe, à la considérer comme un problème réglé et dépassé. Elle se rend compte que tel n’est pas le cas. Elle fait néanmoins bonne figure, comme Barack Obama au sommet de Cannes.

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