Producing in the Southern U.S. Rather Than in China

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Pour les industriels américains, l’idée de produire aux États-Unis ne semble plus totalement saugrenue, et la Caroline du Nord ou l’Alabama ont leurs chances face à Shenzhen ou Nankin.

Et si la délocalisation vers des pays à bas coûts n’était plus un réflexe.

« Il y a vingt ans, nous délocalisions tous les emplois industriels de l’électroménager vers la Chine ou le Mexique. Mais quand j’ouvre mon tiroir caisse je n’arrive pas à trouver les centimes que nous sommes censés avoir économisés. Aussi, la prochaine génération d’appareils sera fabriquée aux États-Unis »[1].

En octobre 2010, cette interview de Jeff Immelt, le PDG de General Electric, avait attiré l’attention des observateurs friands de « signaux faibles » annonçant un possible retournement de tendance.

Depuis peu, les industriels n’écartent plus d’un revers de main l’idée de produire aux États-Unis. Il y a pour cela des raisons dont la liste s’allonge : l’augmentation rapide des salaires en Chine, la hausse du prix du pétrole, la réévaluation prévisible du renminbi, le coût prohibitif de l’immobilier industriel dans des zones comme le Guangdong (Shenzhen) ou le delta du Yang-Tse[2].

On peut ajouter les fréquents problèmes de délai et de qualité dans les usines chinoises, et enfin l’image de marque : le « made in the USA » se vend mieux, à prix égal, que le « made in China ».

Tout cela explique que GE ait rapatrié une usine de chauffe-eau dans le Kentucky et qu’elle implante ou développe des équipements dans l’Alabama, le Tennessee et l’Indiana.

Pour les mêmes raisons, General Motors étudie la réimplantation à Springville (Tennessee) d’une chaine de montage délocalisée il y a quelques années. Avec cette opération, le constructeur américain n’a rien d’un précurseur : Honda, Kia, Toyota, Nissan, Mercedes-Benz, Hyundai, Volkswagen, BMW sont déjà installées dans l’Alabama, le Tennessee , le Mississippi, la Géorgie, le Kentucky ou les Carolines.

« Made in America, again »

Le Boston Consulting Group vient de publier une étude intitulée « Made in America, de nouveau. Pourquoi l’industrie va revenir aux États-Unis »[3], qui fait le point sur ce mouvement de « relocalisation ». Le célèbre cabinet de consultants donne deux conseils aux industriels. Primo : « regardez le coût total et faites une analyse rigoureuse, produit par produit », et secundo : « revoyez toute votre stratégie vis-à-vis de la Chine, qui continue à être le bon choix pour les productions incorporant beaucoup de main-d’œuvre et destinées à l’Asie, mais ne peut plus être considérée comme le choix automatique, « par défaut », pour tous les autres produits ».

L’augmentation du coût de la main d’œuvre en Chine

Le BCG examine en détail l’évolution des coûts de la main-d’œuvre et de l’immobilier industriel en Chine, et plus succinctement les autres postes : droits de douane, change, prix des transports.

Les salaires et les cotisations sociales ne peuvent qu’augmenter en Chine, ce qui est une bonne nouvelle pour tout le monde. Le coût de la main-d’œuvre ouvrière progresse de 20% par an en moyenne, et plus rapidement dans les régions les plus actives. En 2010, Foxconn a doublé les salaires sur son site de Shenzhen (500 000 travailleurs) après une vague de suicides. Et à Foshan (province de Guangdong), les fournisseurs de Honda ont dû accorder des augmentations d’au moins 30% à la suite d’une grève.

Cette tendance se poursuivra pour deux raisons. La première est le besoin de main-d’œuvre qualifiée, qui va s’amplifier avec la montée de la demande de biens de consommation dans un pays dont le niveau de vie s’élève rapidement. La seconde est que la Chine doit impérativement améliorer la protection sociale des travailleurs ; les premières mesures prises par le gouvernement sont très inférieures à ce qui serait nécessaire, et les prélèvements indispensables ne pourront qu’augmenter sensiblement le coût du travail.

Coûts chinois et coûts américains : un écart qui se resserre

En 2005, le coût moyen d’un ouvrier chinois représentait 22% de celui d’un ouvrier américain. En 2010, on en était à 31%, et même à 41% en tenant compte du différentiel de productivité. En 2015 le ratio sera supérieur à 60%, d’après le BCG.

Il reste une différence de 40% en faveur de la Chine, qui est certes significative, mais la main-d’œuvre ne représente qu’une partie du coût du produit fini : de 7% pour une caméra vidéo jusqu’à 25% pour une pièce d’automobile. Quand on ajoute la hausse des prix de transport, les droits de douane et le réajustement prévu de la monnaie, on comprend que Jeff Immelt se demande s’il faut vraiment dépenser du temps et de l’argent dans une organisation logistique qui fait faire un demi tour du monde au moindre produit, et courir les risques politiques, juridiques, sociaux, administratifs, inhérents à un pays dont les comportements des dirigeants nationaux et surtout locaux ne sont pas toujours prévisibles.

Les industriels regardent donc vers le Sud des États-Unis, véritable zone « low cost ». L’industrie y bénéficie d’infrastructures de transport de bonne qualité, d’une main d’œuvre abondante, bien formée et peu syndiquée, de la présence d’universités et de centres de recherche en hautes technologies[4], et surtout d’un coût de la main d’œuvre attractif. Le syndicat des travailleurs de l’automobile (UAW) a accepté des baisses substantielles des salaires et des avantages sociaux pour faire revenir les emplois. Pour le même travail, une heure payée 29 dollars dans une usine du Michigan ne vaut plus que 14 dollars dans l’Alabama, où l’industrie automobile, avec ses sous-traitants, fait vivre 135 000 salariés[5].

Malgré cette décote, il reste une différence sensible avec la Chine, où le taux moyen est de 8,6 dollars en 2010, et le fossé ne sera pas totalement comblé avant de nombreuses années. Les industries « relocalisées » ne reviendront donc pas comme elles étaient parties. Elles chercheront un complément de productivité en reconcevant complètement les processus de production, voire les produits eux-mêmes. Mais une nouvelle répartition des capacités de production se dessine, moins aberrante que l’actuelle. Dommage que les seuls perdants soient les ouvriers américains.

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