Les braves gens réunis cette semaine à Durban, en Afrique du Sud, pour lutter contre le réchauffement climatique n’ont pas de chance. Déjà, la conjoncture économique leur est défavorable. Quand récession et chômage de masse menacent, la préoccupation prioritaire n’est pas la défense de l’environnement. Ensuite, deuxième mauvaise nouvelle pour la Conférence des Nations unies sur le climat, les Etats-Unis joueront moins que jamais le rôle de “leader” dans cette bataille : ils sont gagnés par le climato-scepticisme.
Ce n’est pas le cas de l’administration Obama, certes, mais l’école climato-sceptique domine chez les républicains. Ceux-ci disposent de la majorité à la Chambre des représentants ; ils voteront contre toute proposition de taxe sur les émissions de gaz à effet de serre. Et, semaine après semaine, les candidats à l’investiture du parti pour le scrutin présidentiel de novembre 2012 clament leur refus de céder à la “farce” du réchauffement climatique.
Autrement dit, l’élite d’un des deux grands partis aux Etats-Unis – pays où la conviction dans les mérites de la science a toujours fait partie de l’ADN collectif – s’oppose à la majorité des scientifiques de l’époque. Les républicains disent douter de la nocivité du réchauffement de la terre ; ils se refusent à imputer à l’homme une quelconque responsabilité dans l’évolution du climat.
L’opinion est touchée. “Depuis deux ans, le scepticisme sur le changement climatique a bondi de manière spectaculaire chez les Américains”, note l’un des observateurs les plus pointus de la scène publique outre-Atlantique, Christopher Caldwell. Dans le Financial Times (26 novembre), il cite un récent sondage de l’institut Pew : sur une liste de vingt-deux priorités politiques, la lutte contre le réchauffement arrive avant-dernière.
A Durban, les négociateurs de quelque 200 pays sont pressés. Entré en vigueur en 2005, le protocole de Kyoto sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre – à l’origine du réchauffement – arrive à échéance. Il faut lui trouver un successeur. Les scientifiques veulent limiter la hausse moyenne des températures à 2 oC d’ici à la fin du siècle. Au rythme actuel des émissions de CO2, le thermomètre navigue plutôt entre 3 et 6 oC au-delà du seuil censé freiner les catastrophes.
A Washington, PNAS, la revue de l’Académie américaine des sciences, publie son pointage : 97 % des chercheurs spécialisés dans le climat aux Etats-Unis attribuent à l’homme la responsabilité du réchauffement – et donc des drames qui l’accompagnent.
Il en faut plus pour intimider les croisés du Parti républicain. Tous les candidats à l’investiture 2012 clament leur climato-scepticisme. Ils refusent d’incriminer les émanations industrielles de dioxyde de carbone comme étant la cause première du changement climatique.
Elue du Minnesota, Michelle Bachmann assure que les émissions de CO2 sont inoffensives. Hermann Cain, l’un des derniers impétrants, parle du “mythe” du réchauffement. James Richard Perry, gouverneur du Texas, dénonce un “canular” monté par des scientifiques en mal de subventions.
Les candidats les plus solides, Mitt Romney et Newton Gingrich, ont dû tourner casaque. Après avoir pris au sérieux les effets des émissions entropiques de CO2, ils se sont reniés. Ils adhèrent maintenant à la doxa du parti : rien ne prouve que les activités de l’homme soient responsables de l’évolution du climat. Ils ont cédé à l’intimidation de l’aile militante républicaine, celle qu’animent les vedettes des télés et des radios ultra-conservatrices. A ses 15 millions d’auditeurs hebdomadaires, Rush Limbaugh, “micro” le plus “réac” du pays, assène que cette affaire de CO2 est une grosse “blague”.
Le climato-scepticisme est devenu l’un des dogmes républicains, accolé à cette autre conviction : il faut cesser de présenter la théorie de l’évolution comme l’explication des origines de l’homme. Et ajouter aux programmes scolaires la thèse créationniste – qui tient que l’humanité a été créée par Dieu telle qu’elle est.
Dans le Financial Times (26 novembre) toujours, une correspondante aux Etats-Unis, Gillian Tett, s’interroge : “Pourquoi l’Amérique n’aime plus la science ?” Elle cite la colère du maire de New York devant les propos tenus par les candidats républicains sur l’évolution et sur le climat : “Nous avons des postulants à la présidence qui ne croient pas à la science. Vous pouvez imaginer ça, c’est stupéfiant !”, dit Michael Bloomberg.
Le mensuel New Scientist perçoit une offensive républicaine sans précédent contre la science. “Le Parti républicain est-il devenu une religion ?”, s’interroge Andrew Sullivan, sur le site The Daily Beast. Comment en est-on arrivé là ? Conservateur éclairé, comme il se définit lui-même, Sullivan, qui dirigea l’hebdomadaire libéral-néo-conservateur The New Republic, dénonce l’emprise des fondamentalistes protestants sur le parti d’Abraham Lincoln – incidemment, Lincoln fut le président qui établit l’Académie américaine des sciences.
Le parti se comporte comme un mouvement religieux, écrit Sullivan. Ses candidats à la présidence doivent adhérer au credo : non à la théorie de l’évolution, non à la farce onusienne sur le climat, non à la moindre hausse de la fiscalité (directe, indirecte, durable ou momentanée), non à l’abomination “socialiste” qu’est l’assurance santé universelle, non à l’avortement, etc.
On dira qu’il en va ainsi depuis Ronald Reagan et sa “révolution conservatrice” du début des années 1980. Faux. Ronald Reagan ouvrait le parti à toutes les familles du conservatisme américain. Il y a aujourd’hui chez les républicains une crispation dogmatique, qui est une manière de fuite devant la complexité de l’époque.
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