Malgré sa coupe de cheveux façon Playmobil et son visage de poupon vieillissant, le sourire carnassier de Newt Gingrich ne trompe personne. Responsable du basculement à droite de la Chambre des représentants en 1994, après quarante ans d’hégémonie démocrate, ancien président de cette même chambre pendant le second mandat Clinton, il reste un personnage plus que controversé. Il avait même dû démissionner en 1999 après la mise au jour de ses infidélités conjugales, alors qu’il s’était posé en grand moralisateur de la nation lors de l’affaire Lewinsky.
Pourtant, depuis quelques semaines, il semble vivre ce que les éditorialistes appellent un “momentum”, une sorte d'”état de grâce”.
UN PRODUIT DU SYSTÈME
Selon une enquête de Public Policy Polling, publiée mardi 13 décembre, Newt Gingrich devance ses concurrents dans l’Etat clé de l’Iowa, avec 22 % des intentions de vote républicain, suivi de Ron Paul, qui s’en adjuge 21 %, et de l’ancien gouverneur du Massachusetts Mitt Romney, qui en remporte 16 %.
Plus qu’un “buzz”, c’est un véritable raz de marée : “Newtzilla” est en marche, prévient un éditorialiste du Los Angeles Times. “Les (républicains) s’inquiètent du fait que (Michelle) Bachmann et (Rick) Perry ne soient pas assez malins ou qu’ils soient incapables de battre Obama. Les anti-Newt n’ont quant à eux pas de doute quant à l’intelligence de Gingrich.” De fait, cet ancien professeur des universités fait peur. Ses opposants voient en lui un vieux briscard, rôdé aux intrigues de Washington et corrompu par le système.
C’est un point d’attaque possible pour ses rivaux, explique le Christian Science Monitor, qui évoque une campagne lancée par Ron Paul, dont la cote de popularité est très forte dans certains Etats, pour caricaturer Gingrich : “la campagne dépeint l’ancien président de la chambre comme un ‘insider’ (…) qui a bien profité de son passage au gouvernement”. Et pas seulement pendant ce temps-là. Gingrich est également pointé du doigt pour avoir profité de la crise, en empochant la modique somme de 1,6 million de dollars (1,2 million d’euros) en frais de conseil pour Freddie Mac, le réassureur américain, dont la coûteuse faillite est directement financée par le contribuable.
LA QUESTION FISCALE AU CŒUR DES DÉBATS
Logiquement, du fait de ce passé de consultant et du climat économique morose, Gingrich est très attendu sur son programme économique. Alors que républicains et démocrates peinent à s’entendre sur le budget et que le gouvernement risque encore une fois cette semaine un “shutdown”, c’est-à-dire une cessation de paiement, le débat politique se cristallise de plus en plus sur la question fiscale. Dans ce domaine, les propositions de Gingrich ne brillent pas par leur originalité. Le volet fiscal de son projet vient d’être passé à la loupe par le très respecté Tax Policy Center, comme celui de ses adversaires Rick Perry et Herman Cain. En gros : moins de taxes. Et c’est à peu près tout.
Le rapport du Tax Center, cité par le Wall Street Journal (lien payant) mercredi, souligne que les plus fortes réductions fiscales envisagées par Gingrich bénéficieraient aux plus riches : “les personnes gagnant 1 million de dollars ou plus par an bénéficieraient d’un abattement fiscal de 614 000 dollars en 2015 (…), leur taux d’imposition passant de 31,6 % à 11,9 %”. But affiché par Gingrich : renforcer l’attractivité du territoire américain en termes d’investissement. Pour ce faire, il compte également abaisser la taxation des sociétés, de 35 % à 12,5 %.
Si l’on part du principe que le taux d’imposition moyen aux Etats-Unis n’a cessé de diminuer depuis l’ère Reagan, et que Washington n’arrive pas à boucler son budget, et doit sans cesse recourir à des expédients pour ne pas fermer ses administrations, ce plan paraît au mieux irréaliste, au pire démagogique. Il impliquerait en effet un manque à gagner de l’ordre de 1 280 milliards de dollars en 2015, souligne le rapport du Tax Center.
Malin, Gingrich a recours à une esquive bien connue pour que personne ne lui reproche de payer plus d’impôts s’il est élu, explique le journal progressiste Mother Jones : “Permettre aux contribuables de choisir entre le code des impôts actuel et le nouveau.”
Pressé de montrer ses billes, Newt Gingrich a par ailleurs proposé, fin novembre, que les Américains qui viennent d’entrer dans la vie active ne soient plus affiliés à la sécurité sociale, mais qu’ils ouvrent un compte épargne destiné à financer leurs dépenses sociales, notamment leur retraite, en plaçant leurs économies sur les marchés financiers, avec des garanties pour éviter qu’une baisse brutale des Bourses n’entame le capital des titulaires du portefeuille. Là encore, l’idée sent le réchauffé : elle avait déjà été mise sur la table par George Bush en 2004, rappelle le Huffington Post, mais avait rencontré l’opposition des démocrates et de certains républicains.
LA CHASSE EST DÉJÀ OUVERTE
Le programme économique de “Newtzilla” Gingrich paraît donc bien léger pour l’instant, mais pas forcément plus que celui de ses adversaires. Herman Cain, forcé d'”interrompre” sa campagne à la suite d’accusations de harcèlement sexuel, avait fait sensation en proposant un plan fiscal basé sur trois “9” : 9 % de TVA sur tout le territoire américain, 9 % d’imposition sur les sociétés, 9 % d’imposition sur le revenu. Critiqué pour son simplisme, le plan semble tombé aux oubliettes en même temps que Herman Cain a disparu des écrans de télévision.
Quant aux propositions de Rick Perry, elles s’articulent autour d’un principe : proposer aux contribuables un taux d’imposition unique de 20 %, tout en laissant en place la structure fiscale existante. Rien de révolutionnaire, et surtout rien qui permette aux candidats de se distinguer. Mais ce n’est pas sur ce terrain que Gingrich entend se distinguer : plébiscité pour son expérience et sa bonne connaissance de Washington, ainsi que pour sa capacité à rassembler les républicains, il peut d’ores et déjà se préparer à faire campagne dans la cour des grands. La tâche est lourde : à l’heure actuelle, il ne bénéficie que d’une équipe de campagne réduite et surtout, ses fonds sont maigres.
Et ses adversaires ne vont pas le rater. La chasse est déjà ouverte : sur le mode de la dérision, The New Yorker a organisé un appel à contributions pour établir une liste des “40 choses les plus sympathiques que l’on peut dire sur Newt Gingrich”. Numéro un de ce vrai-faux concours de gentillesse : “Gingrich est celui grâce à qui Obama sera réélu.”
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