Hyperactivity: A Class Phenomenon

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Près d’un enfant américain sur dix serait hyperactif, majoritairement dans les milieux pauvres. Une statistique discutée : le lobby pharmaceutique et l’attrait des aides sociales favoriseraient des diagnostics complaisants.

Linda Jacobs, 41 ans, est mère de dix enfants, dont neuf diagnostiqués «ADHD», le trouble de l’attention avec hyperactivité («Attention Deficit Hyperactivity Disorder» en anglais, TDAH en français). «Ils doivent prendre des médicaments car ils sont incontrôlables», résume-t-elle. Son plus jeune, qui a 7 ans, avale chaque matin un comprimé de méthylphénidate, un psychotrope recommandé contre les troubles de l’attention et l’hyperactivité. «Il prend son comprimé à 7 h 30 le matin, cela le stabilise pour sa journée d’école. Le soir, on sent bien que le comprimé n’agit plus. Il va sans doute falloir bientôt augmenter la dose.» Sa fille de 9 ans en est à trois médicaments par jour, dont de l’aripiprazole, un neuroleptique généralement prescrit aux schizophrènes, et parfois aussi utilisé contre le TDAH. «Elle est enragée, explique sa mère. Les médicaments lui permettent de se maîtriser la plupart du temps. Sans les médicaments, je ne sais pas ce que nous ferions.» Linda s’inquiète aussi pour l’un de ses aînés : parvenu à l’âge de 16 ans, il ne veut plus prendre ses pilules.

«Il jette toutes ses affaires»

Près d’un enfant américain sur dix est actuellement étiqueté «ADHD», et leur nombre est en augmentation constante. Ces dix dernières années, la proportion est passée de 7% à 9% des enfants, selon une récente étude des Centers for Disease Control and Prevention, une agence gouvernementale. Parmi les garçons, on compte même 13% d’enfants TDAH. Le plus souvent, il s’agit d’une maladie de pauvres : le nombre d’enfants diagnostiqués et traités pour ce trouble est plus élevé (plus de 10%) parmi les familles vivant en dessous ou juste au-dessus du seuil de pauvreté.

Ces chiffres sont beaucoup plus élevés qu’en Europe. En France, la prévalence est estimée entre 3 et 5% des enfants, qui sont aussi plus rarement médicamentés. «La première explication est que les critères de définition du TDAH sont beaucoup plus larges aux Etats-Unis qu’en Europe, observe Phillipa Spencer, un jeune psychologue qui suit plusieurs enfants traités pour TDAH à Washington et qui a comparé la définition de la maladie dans différents pays. Aux Etats-Unis, on peut juger hyperactif un comportement qui serait plutôt considéré comme une expression d’émotivité en Europe. Ici, on aime bien aussi les solutions rapides. Pour les parents avec qui je travaille, c’est souvent une échappatoire facile : on donne un médicament, et ça va mieux.»

Pour les familles modestes, soigner un enfant pour TDAH est aussi une façon de toucher une allocation mensuelle de 700 dollars (540 euros) par mois, le SSI, Supplemental Security Income. Une somme qui devient fréquemment leur principal revenu. «Faire diagnostiquer son enfant TDAH est souvent une façon de se défausser de sa responsabilité, observe Gail Avent, directrice de l’association Total Family Care, qui vient en aide à 800 familles souffrant de maladies psychiatriques à Washington. L’enfant devient comme un distributeur d’argent. Dans certains milieux, les gens savent que, pour toucher l’indemnité d’invalidité, il faut faire déclarer son enfant malade. Ce n’est pas toujours une mauvaise chose pour des familles qui sont dans le besoin, sauf quand cela entraîne la médication systématique des enfants.»

Joan F., grand-mère d’un garçon de 6 ans traité pour TDAH, reconnaît que la maladie comporte des avantages financiers : «Pour chaque enfant déclaré TDAH, on touche un chèque d’un peu plus de 700 dollars par mois, c’est ce qui nous permet de vivre.» Dans la minuscule cour de sa maison délabrée, jouent ses petits-enfants, âgés de 5 et 6 ans. Joan désigne le garçon diagnostiqué hyperactif : «Il a vraiment son caractère.Parfois il est tellement frustré qu’il jette toutes les affaires en l’air. Les médicaments l’aident à se calmer.» Linda, la mère des neuf enfants diagnostiqués TDAH, confirme : «Actuellement, je ne touche que deux chèques de la Sécurité sociale pour ma propre invalidité et le seul de mes enfants qui vit avec moi. Les autres sont en familles d’accueil. Mais ce n’est pas si facile de bénéficier du SSI. Généralement, ça s’arrête aussi quand l’enfant arrive à 16 ans. Le TDAH est une maladie très liée à l’école : quand ils n’y vont plus, on se soucie moins qu’ils soient agités.»

Pour Stephen Crystal, professeur à l’université Rutgers (New Jersey) et auteur de plusieurs études sur le sujet, la «surmédication» des enfants américains pour troubles de l’attention et hyperactivité est bien réelle. Il relève ainsi les «énormes différences de traitement d’une région à l’autre des Etats-Unis» : «Pour les opérations de l’appendicite ou les cancers, on n’observe pas de tels écarts régionaux. Pour le TDAH, ces écarts suggèrent qu’il n’y a pas de consensus clinique.» Selon les derniers chiffres des Centers for Disease Control and Prevention, la prévalence du TDAH varie beaucoup : en Caroline du Nord, elle dépasse le taux de 15% des enfants de 4 à 17 ans, alors qu’elle tombe à moins de 6% dans le Nevada. D’une manière générale, le sud-ouest des Etats-Unis diagnostique beaucoup moins ces troubles.

De très puissants relais

Les enfants pauvres, couverts par l’assurance publique Medicaid ou placés en familles d’accueil, sont beaucoup plus souvent traités aux antipsychotiques, a également constaté le professeur Crystal. Le plus préoccupant, ajoute cet expert, est que l’efficacité à long terme des médicaments prescrits pour les troubles de l’attention est loin d’être évidente : «Il y a des preuves que ces médicaments peuvent atténuer les symptômes à court terme. Mais, à long terme, on ne sait pas vraiment quelles sont les conséquences de ces médicaments sur le développement du cerveau. Par ailleurs, leurs effets négatifs sont importants, à commencer par la prise de poids.»

Si le TDAH est si souvent diagnostiqué, et médicamenté aux Etats-Unis, c’est aussi lié au travail de lobbying des compagnies pharmaceutiques qui disposent de très puissants relais. Parmi eux, le CHADD (Children and Adults with Attention-Deficit Hyperactivity Disorder), l’organisation des familles de malades. Installé dans une lointaine banlieue de Washington, mais près du métro pour aller plaider sa cause facilement au Capitole, le CHADD compte 16 000 membres, 23 salariés et un millier de bénévoles. L’organisation est en partie financée par les labos pharmaceutiques et estime que le TDAH est plutôt «très sous-estimé».

«Plusieurs études le montrent, explique sa directrice, Ruth Hughes, psychologue et mère d’un garçon jadis soigné pour ce trouble. Beaucoup d’enfants ont les symptômes du TDAH et ne sont pas traités.» Son fils, adopté bébé en Inde, était si agité que, durant la nuit, son berceau se baladait d’un mur à l’autre de sa chambre, raconte-t-elle volontiers. «A l’âge de 7 ou 8 ans, il a commencé à prendre un traitement qui lui a permis de suivre l’école. Les médicaments allègent les symptômes du TDAH qui interfèrent avec l’apprentissage.» Son organisation ne prône pas systématiquement la médication, assure la directrice du CHADD : «Il y a d’autres options possibles : thérapie, entraînement parental, soutien pédagogique, etc.» Selon elle, le recours aux médicaments est néanmoins efficace dans «80% des cas».

Ces derniers mois encore, le CHADD a dû relancer son travail de lobbying auprès du Congrès : à la recherche de coupes budgétaires, les élus envisageaient de supprimer l’aide au revenu accordée aux enfants diagnostiqués TDAH. «Nous avons été très actifs, raconte la directrice du CHADD. Nous sommes allés voir les sénateurs munis de toutes les études montrant que les enfants TDAH souffrent de sévères handicaps. Les décideurs au Congrès nous ont assuré que cette proposition d’économie avait été écartée.»

Une scolarité quasi normale

D’une façon générale, les traitements psychiatriques représentent près de 30% du budget de Medicaid, l’assurance publique des plus pauvres. Ils ont leurs puissants défenseurs. Les laboratoires pharmaceutiques ont beaucoup contribué à la «surmédication» des enfants américains, affirme aussi Robert Whitaker, auteur d’un livre-enquête sur «l’épidémie» de maladies mentales ces dernières décennies aux Etats-Unis. «La plupart des pédopsychiatres se font rémunérer par des compagnies pharmaceutiques, à titre de conseiller ou d’expert, dénonce-t-il. Ces compagnies, qui cherchent à élargir sans cesse leurs marchés, exercent une grande influence sur les hommes politiques à Washington.» Résultat : les incitations pour déclarer les enfants TDAH et les traiter existent à tous les niveaux. «Dans les universités, même les plus prestigieuses, les professeurs se sont mis depuis les années 80 à travailler pour des compagnies pharmaceutiques, observe-t-il. Le phénomène est particulièrement grave en psychiatrie, où les résultats sont toujours un peu subjectifs, où on peut facilement les tordre. Au niveau des écoles, diagnostiquer un enfant TDAH est un moyen d’obtenir plus d’argent public. Et, pour les familles, c’est un moyen de toucher le SSI. Les enfants se trouvent pris au cœur d’une vaste entreprise commerciale.»

Il est difficile de résister à la pression du médicament, surtout aux Etats-Unis, comme en témoigne l’histoire de Cyrille Duperret, un Français installé au Colorado. A 3 ans, son fils Nicolas avait été signalé par la directrice de sa maternelle comme «perturbateur». Des parents se plaignaient de son agitation et menaçaient de retirer leurs propres enfants de l’école (privée) si le petit Nicolas continuait à déranger la classe. Les experts consultés avaient proposé de soumettre l’enfant aux tests du TDAH et de le mettre sous Ritaline, l’un des traitements les plus classiques. Envers et contre toutes ces pressions, ses parents ont refusé les médicaments, et ont choisi de lui consacrer davantage de temps. Nicolas a aujourd’hui 15 ans, et poursuit une scolarité quasiment normale : «Il a de bonnes notes, il ira dans une bonne université, prévoit déjà son père. Mais ce ne fut pas toujours facile, ni pour nous, ni pour les enseignants.A l’école primaire, Nicolas était souvent dans le bureau du directeur. Au collège, nous étions souvent appelés pour des problèmes de comportement. Mais à l’école de notre quartier, il y avait aussi des professeurs ou des assistants sociaux qui connaissaient bien le problème. Et Nicolas a appris à mieux se contrôler.»

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