A More Painful Downgrade than in the United States

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Une dégradation plus grave qu’aux Etats-Unis

Point de vue | LEMONDE.FR | 16.01.12 | 12h42

par Catherine Gerst, ex-directrice générale de Moody’s France associée chez Citigate dewe Rogerson

http://www.lemonde.fr/idees/article/2012/01/16/une-degradation-plus-grave-qu-aux-etats-unis_1630159_3232.html

La perte du AAA français le vendredi 13 janvier par S&P est-elle très grave ? Absolument pas d’un point de vue relatif, ni à l’aune des événements récents dans l’histoire de la dégradation des dettes souveraines. En effet ce 13 janvier, la note de la France n’était pas seule concernée : sur 16 pays de la zone euro, S&P en dégradait neuf d’un coup. Il y a donc un problème spécifique à la zone euro, dont les notes des principales économies ne cessent d’être dégradées depuis bientôt deux ans. Par ailleurs, sur environ 160 pays notés dans le monde, il n’en reste qu’une quinzaine notés AAA.

Descendre d’un cran dans la catégorie AA n’a donc rien d’infâmant. Il existe aussi d’autres avis : ainsi, Fitch a indiqué qu’elle maintiendrait la note AAA de la France jusqu’en 2013. Les marchés avaient enfin largement anticipé : l’écart de spread entre les emprunts français et les bunds allemands n’avait cessé de se creuser depuis l’été 2011. A cette annonce digne d’un vendredi 13, les marchés boursiers ont pour leur part très peu réagi. Ce qui militerait pour encore plus d’optimisme est le récent précédent américain.

Les Etats-Unis ont perdu leur AAA il y a déjà cinq mois. Rétrogradés dans la même catégorie AA que la France, ils ont subi une seule conséquence : l’abaissement quasi instantané de leurs coûts de financement. L’inverse de ce qu’on pouvait attendre, et un magistral pied de nez aux agences de notation. Comme si, au pied du mur, les marchés ne faisaient plus confiance qu’à leur niveau d’informations cumulé, qui incorpore bien d’autres éléments que la notation, et à leur instinct de base, marginalisant in fine le poids de la notation dans leur décision finale. Précédent qui invalide donc l’argument si souvent utilisé par les politiques selon lequel les agences de notation exercent une influence si considérable dans les marchés. En effet, si à niveau de notation équivalent (AA), les marchés continuent malgré tout à faire d’avantage confiance au débiteur “Amérique” qu’au débiteur “France”-qui se finance déjà depuis de nombreux mois beaucoup plus cher que les gouvernements américain et allemand (AAA) – c’est qu’ils se fondent sur bien d’autres éléments que la seule notation. Et c’est tant mieux.

Ce qui est grave donc, ça n’est pas la perte du AAA, mais c’est que justement ces critères autres que la notation, qui reflètent tout simplement le degré de confiance du marché dans un émetteur donné, sont jugés moins favorables à la France qu’à l’Allemagne dans la zone euro, et qu’aux Etats-Unis et à l’Angleterre en dehors. Malgré toutes les raisons qu’il y a de relativiser, la perte du AAA paraît donc bien plus grave que dans le cas américain.

Les raisons ? D’abord une plus grande défiance des investisseurs vis à vis de la zone euro qu’à l’égard des Etats-Unis et de l’Angleterre, ce que S&P souligne dans son annonce. D’ailleurs, la comparaison des taux d’emprunt entre ces trois zones depuis plusieurs mois fait ressortir des coûts de financement très supérieurs pour la zone euro. On empêchera pas les marchés, ni les agences de notation, de considérer que l’absence d’un prêteur en dernier ressort est une faiblesse structurelle de la zone euro par rapport à la capacité de création monétaire de la Fed et de la Banque d’Angleterre.

Ensuite parce qu’à niveau de notation égale (AAA), depuis des mois, les investisseurs prêtaient plus cher à la France qu’à l’Allemagne, marquant ainsi qu’au coeur même de la zone euro, ils ont d’avantage confiance en la politique économique et financière de l’Allemagne qu’en celle de la France. Autre élément que l’agence a pris en compte en abaissant le “score politique” de la France, l’un des 5 piliers de sa méthode de notation souveraine, d’un cran. L’Etat français ne sera pas seul à emprunter plus cher: l’ensemble des banques françaises vont être affectées à leur tour par des dégradations, parce que leurs propres niveaux de notes sont fortement corrélés à ceux de la France. Et tous les acteurs dont la structure dépend de près ou de loin de celle de l’Etat risquent de se voir également dégradés, selon le principe généralement appliqué par les agences qu’un emprunteur ne peut pas être mieux noté que son pays d’origine.

Les coûts de financement de ces organismes vont donc augmenter, et seront répercutés sur les consommateurs et les contribuables, à un moment déjà difficile d’ajustements budgétaires dans un environnement sans croissance. Le constat est donc peut-être différent des idées reçues : ça n’est pas les marchés qui sont sous l’influence de la notation, mais bien les Etats et leur représentants politiques, qui, avec les régulateurs nationaux et européens, sont addictifs à la notation. Ils l’ont montré, notamment la France, en matraquant les opinions publiques avec l’idée que le principal objectif était le maintien d’une note AAA. Ils ont imposé la notation d’agences agrées par les régulateurs bancaires comme un élément clé de la régulation bancaire, au point que même les nouveaux ratios de liquidité dans Bâles 3 dépendent de la notation de ces agences agréées. Et ils ont sans cesse utilisé la caution du AAA comme preuve de leur compétence.

Il est urgent qu’ils entament une cure de désintoxication massive. Cela fait des mois que les Etats-Unis l’ont fait : il suffit de supprimer toute référence à la notation dans quelque régulation financière que ce soit, laissant à chaque acteur du marché, notamment les Etats emprunteurs, le choix de se baser sur les notes comme instruments de marketing, ainsi que dans l’établissement de leurs objectifs. Si c’est ce choix qu’ils souhaitent poursuivre, alors ils devraient en gérer les conséquences négatives de façon plus efficace, plutôt qu’en rejeter la responsabilité sur leurs notateurs agréés.

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