La lente agonie de la peine capitale
D’un point de vue historique, le châtiment létal se rattache à l’histoire des nations. Jusqu’au XXe siècle, la culture européenne fut porteuse de la peine de mort. Avant le bannissement graduel de cette sanction extrême, la corde, la guillotine ou la hache du bourreau étaient tenues en haute estime. Sous l’angle de la civilisation occidentale, le Vieux Continent reste le pivot du courant abolitionniste. Depuis sa restauration en 1976 par les États-Unis, la peine capitale est un levain de discorde entre l’Europe et l’Amérique.
En réaction aux affres du nazisme et des purges staliniennes, les nations européennes ont graduellement banni toute forme d’exécution. Aux États-Unis, la peine capitale reste un expédient d’une justice réparatrice. Perçu comme un moyen d’infléchir efficacement la grande criminalité, l’ultime châtiment prétend également rétablir l’équilibre social: on compense la vie perdue en prenant celle de l’assassin. De plus, dans l’Amérique profonde, l’extermination d’une âme damnée purifie la société.
La mise à mort du coupable symbolise la destruction du mal. Ce rituel morbide se nourrit essentiellement de dissuasion et de vengeance. Les défenseurs de la peine capitale ont perdu la bataille de l’intimidation. De nombreuses études démontrent la vacuité de l’argument. Exemple: des États voisins de la fédération américaine, l’un abolitionniste et l’autre pas, affichent des statistiques semblables en matière d’homicide.
Défendre l’indéfendable
La loi du talion («oeil pour oeil, dent pour dent»), quant à elle, oblige à défendre l’indéfendable. La cruauté du violeur d’enfants, l’atrocité du tueur en série ou la barbarie du terroriste ne justifient aucunement l’abandon par une société démocratique de ses valeurs fondamentales. Si l’être humain peut choisir de renoncer à la vie, l’État ne peut moralement imposer ou suggérer cette renonciation.
Curieusement, s’agissant d’avortement, la droite nord-américaine, religieuse et puritaine, sacralise le droit à la vie du foetus. Du même souffle, ces bonnes gens invoquent le droit supérieur de l’État d’occire l’assassin. Serait-ce que l’innocence du foetus lui confère le droit de vivre, tandis que la culpabilité du tueur, affirmée (sous peine d’erreur) par un tribunal, lui soustrait ce droit? L’État ne peut légitimement enlever ce qu’il ne peut donner: le droit de vivre.
Affaire politique
Aux États-Unis, relevant principalement des États fédérés, la peine de mort est traitée comme une question de politique locale. Trente-quatre États (et le gouvernement fédéral) pratiquent la peine de mort. Sur l’ensemble du territoire, les exécutions sont plus fréquentes dans les États protestants du Sud. Cette pratique se nourrit d’injustice raciale. Formant 12 % de la population américaine, les Noirs représentent 41 % des condamnés à mort.
Contrairement au niveau fédéral, les procureurs de la poursuite et les juges des États fédérés sont élus. Devant des électeurs majoritairement favorables au châtiment ultime, cette délicate question reste un enjeu de politique locale.
Délaissant le débat éthique, les abolitionnistes américains misent surtout sur un argumentaire factuel: le dysfonctionnement actuel du système judiciaire permet la condamnation d’innocents. Ces dernières années (tests d’ADN aidant), plusieurs victimes d’erreurs judiciaires ont échappé au couloir de la mort.
En juin 2002, la Cour suprême des États-Unis a soufflé la braise de l’abolitionnisme en prohibant l’exécution d’accusés mentalement handicapés. Un second jugement oblige les jurés — plutôt que le juge du procès — à faire l’examen des faits susceptibles de justifier la peine capitale.
Enfin, des motifs économiques favorisent l’abolition ou la diminution de la peine capitale. En Californie, le couloir de la mort est devenu un gouffre financier. Une étude récente sonne l’alarme et fait appel aux électeurs. Peu importe la motivation politique, c’est le résultat qui compte. Ainsi va la lente agonie de la peine capitale.
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