As an Aside: A Little Snow on the Radio

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Chaque matin à NPR, la radio publique américaine, la voix de Garrison Keillor donne vie, d’un ton grave et suave, à un court poème qui s’élève ainsi d’un coup au-dessus de notre hiver trop chaud. Un poème livré pendant quelques secondes, comme une offrande pour mieux traverser «des temps difficiles», répète Keillor. Voilà une bonne idée que personne toutefois ne semble vouloir reprendre au pays des érables de Sa Majesté.

Autrement, Garrison Keillor est le créateur des histoires du lac Wobegon, des nouvelles diffusées dans le cadre d’une émission éclectique dont il est le créateur: A Prairie Home Companion. Je suis un fidèle de l’émission depuis des années, un fidèle parmi d’autres, que ce soit aux États-Unis, en Irlande, en Australie, en Nouvelle-Zélande, en Angleterre ou au Canada.

Les histoires du lac Wobegon, toutes simples, pleines de tendresse et d’observations fines, révèlent les traits sinueux d’une Amérique profondément humaine. Ces histoires ont donné lieu jusqu’ici à plusieurs livres.

Bien qu’il fasse figure de défenseur de la culture orale, personne ne s’étonne de l’amour intense que Keillor prodigue aux livres. Dans cet ancien centre canadien-français qu’est Saint-Paul au Minnesota, l’homme de radio a même ouvert une librairie. Son amour des livres, il le distille constamment dans ses émissions où, réunis autour du lac Wobegon, «les femmes sont fortes, tous les hommes ont belle apparence et tous les enfants sont au-dessus de la moyenne».

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C’est dans ce lac Wobegon, au coeur d’une fiction qui rejoint la réalité, qu’était en quelque sorte parti se noyer Bernard-Henri Lévy lorsqu’il décida de consacrer, avec American Vertigo, un livre à l’Amérique. Garrison Keillor avait pourfendu celui qui se prenait aussi pompeusement pour un nouveau Tocqueville. Il l’avait fait dans le New York Times, expliquant que BHL parlait de réalités dont il démontrait son ignorance à coup de généralités grossières et répétées. Toutes les dix pages de clichés, écrit Keillor dans sa critique, BHL réussit «à foncer dans un mur».

Il faut évidemment bien plus qu’une critique de Keillor pour démonter ce penseur à chemise blanche qui chevauche sans cesse de nouvelles bêtises fringantes pour finir par brouter le plus hâtivement possible dans le pré de conclusions abracadabrantes.

Dans son dernier livre, La guerre sans l’aimer, BHL s’imagine l’un des principaux responsables des soulèvements du printemps arabe et, en particulier, de la révolution libyenne. Au travers de ce fatras, on rencontre Alain Delon, Nicolas Sarkozy et de larges pans de vie infatuée de ce philosophe avec chauffeur qui se prend cette fois pour André Malraux.

Si la prétention avait ses championnats du monde, BHL en serait immédiatement éliminé pour cause de dopage.

Mais revenons à Keillor, à sa mythique émission Prairie Home Companion. Des musiciens de toutes sortes y viennent, y compris à l’occasion des Québécois. Keillor lui-même y chante, merveilleusement bien. On y entend aussi, en plus des nouvelles du lac Wobegon, des radio-théâtres brillants comme il n’en existe plus ici depuis des décennies.

Il faut dire que, sur les ondes de NPR, l’intelligence et le talent sont souvent au rendez-vous. Même une émission consacrée à l’automobile, Car Talk, présentée sous la forme d’une simple ligne ouverte tenue par deux frères désopilants, réussit à faire apparaître tout le jeu des rapports complexes qu’entretiennent nos sociétés américaines avec l’automobile. Car Talk est en plus entrecoupée de jeux mathématiques inattendus qu’on ne trouvera pas de sitôt ailleurs, certainement pas en tout cas dans les pages annuelles du Guide de l’auto.

Je pourrais aussi souligner que cette radio publique américaine offre chaque jour la retransmission de l’actualité internationale telle que vue par la BBC. Pour penser un peu à autre chose que les rengaines habituelles — l’effritement du béton de Pauline Marois, les célébrations monarchiques de Harper, Star Académie —, disons que ce n’est pas trop mal.

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Mais pourquoi est-ce que je vous parle de la National Public Radio? Parce qu’il s’agit, comme on pourrait s’en douter, de l’antenne où l’on parle le plus et le plus souvent de livres chez nos voisins du Sud.

Or cette semaine, dans le Boston Phoenix, on montrait que, même dans cette radio assez exceptionnelle, les femmes sont reléguées loin derrière les hommes dès qu’il est question de littérature. Il y a moins de chances que l’on y parle d’un livre s’il est écrit par une femme.

Pour 70 % des interviews réalisées à NPR, on parle de livres écrits par des hommes. Qui plus est, ces hommes sont parfois interviewés à plus d’une émission de la chaîne alors qu’une seule femme a eu droit à un deuxième entretien.

Un complot? Non. Un système. Un vieux système qui se retrouve partout.

L’an passé, une autre étude du même genre avait déjà montré qu’il en allait de même au New York Times: les hommes y sont largement favorisés en ce qui a trait au nombre de critiques.

Est-ce que cela ne traduirait pas une réalité de l’édition elle-même? Sur les 300 romans environ publiés annuellement par les maisons américaines majeures — Simon and Schuster, MacMillan, Random House, Hachette, Penguin —, environ 60 % sont le fait d’hommes alors que leurs lecteurs sont à majorité des lectrices.

En somme, la presse écrite comme les médias électroniques, du moins aux États-Unis, parlent plus d’auteurs masculins que féminins.

Est-ce différent ici? Sans doute pas.

Tiens, un éditeur du nom de Furia Francese réédite, paraît-il, le brillant classique de John Berger, Ways of Seeing, traduit sous le titre de Voir le voir. Peintre, critique d’art, romancier, Berger a remporté le Booker Prize en 1972. Dans Ways of Seeing, qui fut d’abord une série télévisée, il montrait, entre autres choses et de brillante manière, comme à son habitude, quelle place occupent les femmes dans les musées. Devinez quoi? Il constatait que la place accordée aux femmes dans ces établissements était essentiellement celle occupée sur les toiles par les modèles des peintres.

Plus ça change, plus c’est pareil?

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