De toutes les luttes pour obtenir un siège au Congrès en novembre, celle à laquelle se livrent Scott Brown et Elizabeth Warren est la plus fascinante. Pas seulement parce qu’elle oppose ce républicain qui, en 2010, a remporté – sacrilège ! – le siège de feu Ted Kennedy à la nouvelle égérie progressiste, enseignante de Harvard, qui a lutté avec ardeur contre Wall Street, mis en place le Bureau de protection financière du consommateur, et qui défend avec passion le rôle du gouvernement. Mais aussi parce que, à gauche, certains voient en elle ce qu’ils jugent qu’Obama n’a pas été : une personnalité audacieusement de gauche. Et qu’il ne lui ait pas donné la direction de ce Bureau de protection en dit, pensent-ils, bien long.
Roosevelt, Truman, Kennedy (sans rien dire de Bill Clinton) ont reçu des volées de bois vert de la base démocrate ; Obama ne fait pas exception. Son bilan est pourtant solide. Non content d’avoir écarté une nouvelle dépression et sauvé l’industrie automobile, le Président a engagé des réformes majeures : l’assurance santé, qui, si elle passe le test de la Cour suprême, devrait voir près de 95% des Américains couverts au fil du temps ; la re-reglémentation de l’industrie financière ; des initiatives pour l’environnement, pour l’éducation : des bourses plus accessibles et le programme «Race to the top». Mais aussi une solide réglementation des industries du tabac et de l’agroalimentaire, la création d’un service civique, des lois contre les discriminations salariales ou les crimes haineux, l’abrogation du règlement antigay dans l’armée, une loi pour une meilleure nutrition des enfants, des financements pour la recherche, le développement et les infrastructures, des accords de libre-échange, etc.
Il y a des carences : bonus de Wall Street, projet de «bourse du carbone», vrai débat sur l’éducation. Elles ont suffi à faire dire qu’il n’avait rien fait. Pire : la conduite d’une politique pas assez innovante, un chômage élevé, une ère hyperpartisane et l’obstructionnisme constant des républicains ont tôt nourri le récit d’un Obama trop prompt aux compromissions. Or, sa manière de gouverner au centre gauche a aussi reflété les diverses sensibilités des électeurs. Depuis 2008, selon Gallup, les démocrates sont passés de 50% à 43%, les républicains de 37 à 40%, et les indépendants de 12 à 15% – une Amérique moins démocrate donc.
Alors, faut-il être déçu de l’approche modérée d’Obama ? Depuis 1981, la vague conservatrice a recadré le débat et tiré la gauche toujours plus à droite. Obama est en train de recadrer le débat à gauche et, patiemment, après trente ans de néolibéralisme, de réhabiliter des mots comme «hausse des impôts» (pour les riches) ou «activisme du gouvernement» (en faveur des autres). S’il est réélu et cimente son héritage, les conservateurs pourraient bouler brutalement et les débats futurs se jouer davantage dans le champ traditionnel de la gauche. Depuis l’été 2011, où la recherche d’un compromis avec les républicains sur la dette a failli mener le pays au bord du gouffre, Obama se repositionne plus à gauche : les stratèges démocrates semblent convaincus qu’il lui faudra «presser tout le jus» de la base pour être réélu.
Que l’on songe à l’alternative : que faudrait-il attendre d’une présidence Romney ? Son programme, «Believe in America», donne le ton : réduction de la taille du gouvernement et des droits des travailleurs, maintien de ristournes fiscales pour les plus riches, abolition d’autres taxes, abrogation de la réforme de la santé, déréglementation financière ou environnementale, exploitation accrue du pétrole américain, ce sont là des propositions pas très neuves mais bien à droite. Autant pour un Mitt Romney qui passe pour «modéré» mais qui serait pressé d’agir par un Congrès tombant sans doute, dans son sillage, aux mains de républicains influencés par l’aile la plus extrême de la droite, pour qui George Bush est un apostat. Enfin que l’ancien speaker Newt Gingrich, 68 ans, soit encore en course souligne l’incapacité de la droite à se réinventer.
La Constitution servirait de dernier rempart contre tout extrémisme. Mais qu’un président conservateur puisse avoir à nommer jusqu’à deux juges à la Cour suprême au cours des prochaines années, l’ancrant alors à droite pour longtemps, ne garantirait plus ce point.
Un candidat indépendant pourrait troubler le jeu mais les contours de l’élection semblent déjà prendre forme, qui portera sans doute, par-delà l’économie, sur les inégalités et la nature du capitalisme (mot désormais à connotation négative pour 40% des Américains). L’électorat ressemble à celui de 2008, si ce n’est que davantage de seniors et d’ouvriers blancs soutiennent la droite, et que les jeunes et les minorités, acquis aux démocrates, ont un poids démographique plus important qu’en 2008. Lesquels, de ces groupes, se mobiliseront le plus en novembre ? Dans cette question se joue sans doute la réélection d’Obama, et, peut-être, avec elle, le sort de l’Amérique telle qu’on la connaît aujourd’hui.
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