Les différentes armées sont-elles confrontées de la même façon à des actes fous ou criminels de soldats ? La question se pose après un nouveau drame mettant en cause l’armée américaine commis le 11 mars. Un sergent de 38 ans, père de famille, s’est levé en pleine nuit et a quitté sa base pour aller assassiner 16 civils dans un village afghan voisin. Quelques semaines auparavant, la vidéo de GI’s urinant sur des cadavres d’insurgés avait provoqué une onde de choc dans le monde. Elle renvoyait aux tristes images des mauvais traitements infligés en 2004 à des prisonniers d’Abou Ghraib en Irak. Mais aussi aux photos de soldats allemands jouant avec des crânes en Afghanistan, en 2003.
Des officiers français à qui nous avons posé la question, et qui ne peuvent s’exprimer publiquement tant ces sujets sont sensibles, affichent une saine prudence : “On a parfois tendance dans l’armée française à penser que nous sommes moraux par essence, mais nous ne sommes pas exempts de ce genre de “pétages de plomb”. Peut-être sont-ils plus étouffés que dans d’autres armées. Peut-être aussi avons-nous appris depuis la guerre d’Algérie”, confie l’un d’eux.
20 % DES SOLDATS SOUFFRENT DE TROUBLES PSYCHOLOGIQUES
“Il faut être très modeste”, abonde le général Benoît Royal, ancien patron de la communication de l’armée de terre et auteur d’ouvrages sur l’éthique militaire. Des évènements récents en témoignent : le meurtre de quatre personnes par un légionnaire français au Tchad en 2009, ou le lynchage d’un coupeur de route ivoirien en Côte d’Ivoire en 2005, pour lequel quatre anciens militaires seront jugés à Paris fin 2012. Le nombre de ces cas semble plus limité que les actes qui ont défrayé la chronique américaine ; mais les forces françaises sont trente fois moins nombreuses que leurs homologues d’outre-Atlantique sur les théâtres de guerre.
Les études médicales mesurant l’impact psychologique de la guerre sur ceux qui la font convergent. En moyenne, 20 % des soldats souffrent de troubles psychologiques. Généralement, ceux-ci sont mesurés au retour de la guerre. Une étude menée par les services de santé des armées français en 2010 auprès d’unités rentrées d’Afghanistan depuis trois à six mois (une période identifiée comme “critique”), a montré que 9 % à 26 % des combattants déclaraient spontanément avoir été confrontés à un évènement traumatisant. Beaucoup refusent tout suivi. Parmi ceux qui ont une reçu une blessure physique, les médecins disent qu’une large majorité, 80 %, affichent un état de stress, dont près d’un tiers un stress chronique.
Les conditions de préparation, de déploiement et de retour des soldats peuvent expliquer en partie la façon dont ils réagissent. Les Américains peuvent être déployés pendant douze à quatorze mois, une durée jugée démente par leurs homologues français. Le soldat meurtrier du 11 mars avait enchaîné les missions, Irak et Afghanistan, pendant plus de 30 mois, une situation impossible pour un Français.Pour l’Afghanistan, conflit qui a marqué le retour des combats durs pour l’armée française, l’état-major a décidé à partir de 2008 que la mission des troupes durerait au maximum six mois. Une période d’un an minimum doit être respectée avant de repartir, sauf décision volontaire. Seules quelques spécialités dérogent à la règle. Et l’armée française a instauré, pour tous ceux qui rentrent d’Afghanistan, un “sas” de trois jours dans un grand hôtel de tourisme à Chypre : entretiens avec des psychologues et techniques de relaxation permettent d’amortir le choc du retour.
DES SOLDATS “LAISSÉS À L’ABANDON”
Les différences de préparation des jeunes engagés peuvent aussi jouer sur le comportement futur en opération. Enfin, l’encadrement, médical et hiérarchique, compte. L’armée de terre française a mis en place depuis 2004 une cellule d’intervention de soutien psychologique sur le terrain. Puis, pour l’Afghanistan, un système de “référent” par unité de combat, qui peut jouer un rôle d’alerte. Les psychiatres “tournent” entre les unités de terrain. Point important : contrairement aux psychiatres militaires américains, intégrés dans la chaine de commandement, les médecins français restent en dehors, un point crucial pour le secret médical et la confiance du patient. Ces efforts restent insuffisants au regard des besoins. “Beaucoup de soldats se plaignent d’être encore souvent laissés à l’abandon, témoigne un officier. C’est au militaire de demander de l’aide, or cela reste très difficile pour lui d’admettre qu’il en a besoin. Finalement, beaucoup continue à dépendre de la valeur du chef direct et de sa capacité à parler avec ses hommes.”
Plus largement, la culture de la guerre propre à chaque nation est-elle en cause ? Le général Royal l’affirme. “Depuis la guerre d’Algérie nous avons eu une réflexion éthique, et de vrais débats, notre code du soldat intègre ces acquis.” Le code américain, appelé “credo du soldat”, a été modifié en 2003. Il dit notamment : “Je n’accepterai jamais la défaite”, et “Je me tiens prêt à être déployé, m’engager, et détruire les ennemis des Etats-Unis d’Amérique en combat rapproché.” Le code français contient ces phrases : “Il accomplit sa mission avec la volonté de gagner et de vaincre, et si nécessaire au péril de sa vie” ; “maître de sa force, il respecte l’adversaire et veille à épargner les populations”. Deux approches différentes.
Cependant, relativise un officier “le fait de déshumaniser son ennemi est une constante de tout conflit, et les difficultés psychologiques de la guerre ne sont pas nouvelles”. Pour beaucoup de militaires, la seule nouveauté est la sensibilité exacerbée des opinions publiques à ces réalités.
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