Après les années Bush, Barack Obama est parvenu à restaurer en partie l’aura des Etats-Unis dans le monde. Et en dépit des difficultés de sa présidence et du nombre de ses promesses non tenues – comme celle de s’engager dans la recherche d’une solution dans le conflit israélo-palestinien -, le capital de sympathie de l’Amérique reste dans le monde à un niveau élevé, devançant celui des autres puissances, selon les études d’opinion. Mais les Etats-Unis – du moins dans la perception qu’en a le reste du monde -sont en train de perdre leur statut d’unique superpuissance de l’après-guerre froide. Non pas seulement en raison de leur échec à imposer leurs valeurs par la force en Irak ou en Afghanistan, mais en raison surtout de la montée de la puissance de la Chine.
Dans une enquête menée dans 23 pays, l’année dernière, le Pew Resarch Center concluait que pour une majorité de l’opinion publique dans le monde « la Chine allait ou avait déjà supplanté les Etats-Unis comme la superpuissance mondiale ». Une opinion qui est particulièrement répandue en Europe, notamment en France, mais aussi en Allemagne. Et la crise financière de 2008, avec ses conséquences en termes de redistribution de richesse dans le monde, n’a pas arrangé les choses. Au point que nombre d’observateurs et d’experts s’interrogent sur ce qui leur paraît être le « déclin américain ». Pourtant, ce sentiment relève du paradoxe. Car ce déclin est relatif.
Dans le magazine « The New Republic », Robert Kagan, qui fut considéré comme l’un des chefs de file des néo-conservateurs américains sous George W. Bush, s’attaquait récemment à ce qu’il dénonce comme « le mythe du déclin américain ». Le débat est si vif que le président Barack Obama qui, au début de son mandat présidentiel, avait mis les Etats-Unis à l’heure de la « puissance relative », est descendu dans l’arène. Dans son dernier discours sur l’état de l’Union, il affirmait que « toute personne affirmant que l’Amérique est en déclin ne sait pas de quoi elle parle ». Un virage remarquable mais qui s’explique. En Libye, ce sont deux puissances « moyennes », la France et la Grande-Bretagne, qui ont mené le gros des opérations militaires pour contribuer au renversement du régime du colonel Kadhafi, avec simplement le soutien de l’Amérique. Et celle-ci est très largement absente dans les mouvements de révolte dans le monde arabe. En Syrie, c’est la Russie de Vladimir Poutine qui continue de détenir la clef pour un départ de Bachar al-Assad et non les Etats-Unis, sortis militairement d’Irak et sur le point de le faire d’Afghanistan.
Sur le front économique, la croissance économique chinoise laisse à penser que la Chine aura dépassé d’ici à quelques années en termes de PIB les Etats-Unis, peut-être vers 2025-2027, et que les autres puissances émergentes, Inde, Brésil, deviendront de nouveaux pôles de puissance économique. Mais paradoxalement, la Chine est encore très loin des Etats-Unis si l’on considère d’autres critères. Par habitant, la Chine n’a pas encore rattrapé les Etats-Unis – le même jugement s’appliquerait encore plus à l’Inde et au Brésil. Et la croissance des pays émergents tend à s’essouffler.
Le budget militaire de la Chine, comme celui de la Russie, est en augmentation. Mais les Etats-Unis restent toujours, et de très loin, la première puissance militaire mondiale. Dans le « China Daily », Li Hong, secrétaire général de l’association chinoise du contrôle des armes et du désarmement, affirmait d’ailleurs que les Occidentaux exagéraient les chiffres de progression du budget militaire chinois dans l’intention de déclencher une course aux armements en Asie. Dans ce contexte, Robert Kagan souligne d’ailleurs que la Chine aura « du mal à s’imposer comme la puissance hégémonique dans la région, tant que Taiwan restera indépendant et lié stratégiquement aux Etats-Unis et aussi longtemps que des puissances comme le Japon, la Corée du Sud et l’Australie continueront à accueillir des bases américaines ».
Il est un autre terrain sur lequel continue de s’exercer la domination américaine face à des puissances comme la Chine : le « soft power », cette capacité à influencer l’autre et à se le concilier comme allié. Cela est d’autant plus vrai que les rivalités au XX e siècle ne mettent plus seulement en cause des Etats comme aux XIX e et XX e siècles. Lors d’une conférence à l’Académie internationale pour le lancement de l’association des anciens élèves de Harvard Kennedy School (HKS), le politologue Joseph Nye notait en fait un double changement dans le monde : celui d’une transition du pouvoir entre, d’une part, les Etats de l’Occident vers l’Orient et, d’autre part, d’une « diffusion » du pouvoir, conséquence de la révolution de l’information, vers des entités non étatiques.
Le professeur qui a développé le premier dans les années 1990 le concept de « soft power » estimait que la rivalité entre la Chine et les Etats-Unis aujourd’hui n’est pas de la même nature que celle au XX e siècle entre le Royaume-Uni et l’Allemagne, à la recherche alors de la suprématie en Europe. La Chine reste avant tout rivée sur son développement économique, et non pas sur sa volonté de dominer le monde. De même, « la Chine ne cherche pas à remplacer ou à supplanter les Etats-Unis pour assurer la sécurité au Moyen-Orient, en Asie du Sud-Est ou en Amérique latine », soulignait une récente étude du CSIS (Center for Strategic and International Studies). Surtout, le « soft power » chinois est vraisemblablement plus dû au montant de ses investissements directs à l’étranger et à son commerce qu’à la multiplication de ses instituts Confucius ou à la diffusion de sa culture.
Car la puissance est faite vraisemblablement d’un mélange de pouvoir de conviction et de poids économique, et pas seulement de force. « Vous vaincrez parce que vous possédez plus de force brutale qu’il n’en faut. Mais vous ne convaincrez pas. Car, pour convaincre, il faudrait que vous ayez des arguments », avait lancé Miguel de Unamuno en 1936 aux phalangistes espagnols à l’université de Salamanque. Pour la conviction, les Etats-Unis ont encore l’avantage. Pour combien de temps ?
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