The Republican Party: No Leader, No Strategy

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Le Parti républicain sans leader ni stratégie

WASHINGTON, CORRESPONDANTE – A huit mois de l’élection présidentielle, les républicains ne pavoisent pas. “Il est presque acquis que nous allons perdre, dit un ancien rédacteur des discours de George W. Bush. Et nous allons perdre face à un président qui a été confronté à la pire crise économique depuis la Grande Dépression.” Cet intellectuel, qui émarge dans un think tank conservateur, préfère ne pas être identifié alors qu’il est pris d’un accès de défaitisme. “Le fait que nous présentions un parterre de candidats aussi faible en dit long sur l’état du parti”, soupire-t-il.

Les républicains n’ont pas encore perdu, mais ils sont engagés dans une élection primaire houleuse qui ne leur réussit pas. D’ordinaire, la discipline règne. Cette fois, la course semble prête à s’inscrire parmi les grands affrontements qui ont jalonné l’histoire du parti. “C’est devenu personnel. Une quasi-guerre civile”, dit l’historien conservateur David Pietrusza. Tom Friedman, l’éditorialiste du New York Times, qui certes n’est pas républicain, a, lui, posé crûment la question. “Les républicains ne devraient-ils pas faire l’impasse sur 2012 ?”

Le GOP (Grand Old Party) ne peut s’en prendre qu’à lui-même. En août 2010, il a changé le mode de désignation de son candidat à la présidentielle, dans l’intention affirmée de prolonger la course, après avoir constaté que les “primaires avaient fait de Barack Obama un bien meilleur candidat”, explique Doug Heye, qui était alors responsable de la communication de l’état-major républicain. Du scrutin majoritaire, le GOP est passé à la proportionnelle dans certains Etats. Résultat : les candidats progressent vers la nomination à la vitesse de l’escargot et le malaise a eu le temps de s’installer. D’autant que Mitt Romney, le favori de l’establishment, a du mal à s’imposer.

UNE “CRISE D’IDENTITÉ”, SELON LE TIMES

Pour Juleanna Glover, une consultante qui a travaillé pour plusieurs grands pontes républicains, la proportionnelle des primaires conduit les prétendants à s’enfermer dans des positions intenables. “Il faut séduire des segments tellement minuscules de la population ! Les évangéliques dans l’Iowa, les conservateurs en Caroline du Sud, les bénéficiaires de Medicare (assurance-maladie des personnes âgées) en Floride. Les candidats devraient pouvoir se présenter tels qu’ils sont plutôt que défendre des idées avec lesquelles ils ne sont pas forcément d’accord.”

Mi-février, le magazine Time a parlé de “crise d’identité”. Le terme ne plaît pas aux républicains. “Chaque fois qu’il y a des primaires, la question de l’identité se pose. Cela ne correspond pas forcément à une crise, assure Doug Heye. Les divisions sont soulignées par la campagne, mais elles seront vite cicatrisées.” Les militants mettent en avant l’exemple de la réconciliation démocrate de 2008. Mais Barack Obama et Hillary Clinton étaient très proches sur le plan politique.

Chez les conservateurs, il semble s’être créé un gouffre entre ceux qui veulent supprimer l’impôt sur le revenu et ceux qui prônent une simple cure d’austérité. Entre ceux qui disent – à mots couverts – qu’il faudra bien s’aligner sur les deux tiers des Américains et envisager d’augmenter les recettes de l’Etat, par exemple en taxant les très hauts revenus, et ceux qui s’y refusent de manière absolue. Entre ceux qui veulent quitter l’Afghanistan au plus vite et ceux qui pensent que s’y joue le leadership de l’Amérique. Entre les intégristes qui jugent que la contraception est un danger pour la société et ceux qui pensent que le gouvernement n’a rien à faire dans leur chambre à coucher…

“C’EST NOTRE MOMENT DE TRIOMPHE !”

Au point que certains préfèrent jeter l’éponge, comme Olympia Snowe, la très digne sénatrice du Maine, l’une des dernières centristes du Congrès, qui vient de renoncer à se représenter, alors qu’elle était confrontée à un challenger du Tea Party. Elle en avait assez des extrémistes.

Ou comme le consultant Roger Stone, après plus de trente ans dans l’appareil du parti (et un tatouage de Nixon sur le dos). Le 21 février, il a quitté le parti avec fracas, dégoûté de voir les fondamentalistes religieux imposer des tests de pureté idéologique aux autres factions. “Cela rend impossible toute coalition”, a-t-il déploré. Roger Stone est passé chez les libertariens, estimant que c’est le parti de demain : conservateur sur le plan fiscal, opposé aux guerres “ruineuses” sur les théâtres étrangers, et libertaire sur les questions de société telles que l’avortement ou le mariage gay.

Les conservateurs devraient pourtant jouer sur du velours. Jamais leur mantra de “gouvernement limité” et de réduction des déficits n’a été aussi présent. “Quelle crise ?, demande la commentatrice Ann Coulter, spécialiste de la provocation. C’est notre moment de triomphe !”

En quatre ans, le parti a effectué un profond glissement vers la droite. Plus aucun candidat n’oserait se déclarer favorable aux marchés d’émission de gaz à effet de serre (comme John McCain en 2008) ou à l’avortement (comme Rudolf Giuliani).

Grâce à la percée du Tea Party, le parti a acquis une force de frappe impressionnante : il contrôle 47 sièges au Sénat (sur 100), 242 sièges à la Chambre (sur 435), 29 gouverneurs sur 50, 1 001 sièges (sur 1 921) dans les assemblées locales – qui contrôlent le redécoupage électoral – et 3 021 sièges dans les sénats locaux sur 5 410. “Si c’est une crise, alors tout mouvement idéologique devrait vouloir en subir une”, écrit Rich Lowry, du magazine National Review (et partisan de Mitt Romney).

“D’OÙ DOIVENT VENIR LES DÉCISIONS ?”

Le politologue Larry Sabato, de l’université de Virginie, récuse lui aussi le terme de crise identitaire. “L’identité du GOP est bien établie : il est conservateur. La seule discussion qu’ont les républicains, c’est quel est le conservatisme le plus important et d’où doivent venir les décisions : de la base ou du sommet ?” Autrement dit, c’est moins une crise d’identité qu’une bagarre pour le contrôle du parti. Bagarre qui oppose ceux qui veulent “un Parti républicain qui gagne, et ceux qui veulent un Parti républicain conservateur”, comme dit Doug Heye, l’ancien porte-parole.

Pour comprendre la bagarre entre l’establishment et la base, il faut remonter à 1964, quand Barry Goldwater, sénateur de l’Arizona, l’a emporté aux primaires sur les notables centristes de la Côte est et du Midwest, banquiers, lobbyistes, comme Nelson Rockefeller ou George Romney, le père de Mitt. Barry Goldwater a été écrasé par le démocrate Lyndon Johnson à l’élection de novembre, mais la domination que les modérés exerçaient sur le GOP depuis les années 1940 a pris fin. Le parti a dû prendre en compte les positions des militants de l’Ouest, plus rigides, hostiles à toute détente avec Moscou, et les arguments des intellectuels séduits par le manifeste de Goldwater. Douze ans plus tard, Ronald Reagan, venu de Californie, a osé défier le président sortant (certes, Gerald Ford) dans des primaires fratricides. Il a raté la nomination de quelques dizaines de voix à la convention. “Le camp de Ford ne plaisantait pas. Les délégués ont été mis en garde : vote pour Ford, tombe malade ou cherche un job”, raconte l’historien David Pietrusza.

La vague Gingrich a emporté les modérés après la “révolution” de 1994, où pour la première fois en quarante ans les deux Chambres du Congrès sont passées sous majorité républicaine. “S’ils voulaient obtenir des concessions, les républicains devaient négocier avec les démocrates avant 1994, rappelle un lobbyiste du secteur de la sécurité nationale. Newt, lui, croyait que le seul moyen de les battre était la guerre totale. Il les a attaqués sur l’éthique, sur le programme, sur l’idéologie. Ce n’est pas allé sans coût, mais ça a fonctionné.”

Le lobbyiste était tout jeune assistant parlementaire lorsque le Capitole s’est embrasé des cris de victoire des républicains en novembre 1994. “C’était la folie. On avait l’impression que Gingrich avait repris le flambeau de Reagan.” Rapidement, le nouveau speaker a “fait tomber pas mal de modérés de leur piédestal”. L’establishment n’a pas oublié.

Aujourd’hui, Gingrich est considéré comme le “père de la polarisation”, l’homme qui a instillé le climat de conflit permanent qui empêche tout compromis au Congrès. “Sa réapparition dans les primaires a été comme un retour de l’île d’Elbe, poursuit le lobbyiste. Toutes les armées lui sont tombées dessus”…

George W. Bush, lui, a carrément emmené les républicains en territoire ennemi. En pleine guerre d’Irak, il a fait voter des réductions d’impôt, ce qui a creusé le déficit. Pis, il a essayé d’amadouer les démocrates en étendant le remboursement des médicaments pour les plus de 65 ans, autrement dit un de ces programmes que les “faucons du déficit” qualifient d'”assistanat”. Les républicains ont beau s’en défendre : le Tea Party est autant une réaction à “la phase décadente des années Bush” (expression de l’éditorialiste Rich Lowry) qu’au plan de relance d’Obama.

Les radicaux ont même inventé une nouvelle faction : à côté des conservateurs “fiscaux”, des conservateurs “sociaux”, des néoconservateurs, des républicains “chambre de commerce”, des country-clubs républicains (les notables de province) et du Tea Party, voilà maintenant les “big government republicans”, ceux qui trahissent l’idéal à peine élus. “C’est de là que vient la suspicion envers Romney, explique l’historien David Pietrusza. Les gens ont l’impression d’être déjà passés par là avec Bush.” La “conversion” de l’ancien gouverneur du Massachusetts – fils qui plus est d’un “Rockefeller républicain” – ne les convainc pas. “En 1994, il a voté dans les primaires démocrates, rappelle-t-il. Et à peine avait-il remporté les caucus du Nevada qu’il a proposé d’augmenter le salaire minimum !”

RETOUR DE BÂTON ET “ÉPURATION”

Les républicains ont aussi un problème de message. Le début de rétablissement de l’économie les a désarçonnés. “Si le chômage continue à baisser et si le Dow Jones reste élevé, ce sera tout bénéfice pour le président”, reconnaît Doug Heye, qui a travaillé dans l’administration Bush. Les républicains cherchent d’autres angles d’attaque : la mise en place de la réforme de la santé, comme l’a conseillé Karl Rove, l’ancien stratège de George W. Bush. La promesse du président Obama de “réduire le déficit de moitié”, le prix de l’essence… Le très catholique Rick Santorum a choisi de relancer les guerres culturelles, autour des sujets de contraception et de liberté religieuse. Mais ses attaques ont plutôt eu pour effet de mobiliser les femmes, électorat crucial cette année, ce qui lui a valu des critiques cinglantes dans son propre camp. Et quand il a indiqué “ne pas croire à une séparation absolue de l’Eglise et de l’Etat”, l’effroi a été grand.

Le candidat qui aurait pu résoudre les contradictions des factions par son charisme, comme Ronald Reagan en son temps, ne s’est pas présenté. Les étoiles montantes du mouvement sont trop jeunes. Le Parti républicain désigne de préférence des gens établis. A part Barry Goldwater et George W. Bush, qui était fils de président, il a rarement choisi un outsider, contrairement aux démocrates que séduisent de complets inconnus (Jimmy Carter, Bill Clinton, Barack Obama). Le sénateur de Floride, Marco Rubio, aurait pu se lancer, comme l’a fait Barack Obama, après deux ans au Sénat, mais il n’a pas le bagage intellectuel de l’ancien président de la Harvard Law Review.

“Purgeons le parti et gagnons en 2016”, propose l’influent blogueur Tea Party Eric Erickson. Pour le politologue Larry Sabato, les candidats potentiels ont “calculé” que Barack Obama avait des chances d’être réélu si l’économie rebondissait un tant soit peu, et qu’il valait mieux attendre 2016.

Dans la revue Commentary, on discute déjà de ce que sera la réponse du mouvement conservateur, selon que Mitt Romney est battu ou selon que le “candidat non Romney” l’est. Dans les deux cas, les militants parlent de retour de bâton et d'”épuration” comme en 2010. “Ce qui va nous définir, c’est avec qui on va choisir de perdre”, résume l’ancien speechwriter de George W. Bush.

Corine Lesnes

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