United States: The Truth About Lawsuit Folly

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États-Unis : la vérité sur la folie des procès

Les États-Unis sont le pays des procès, mais les Américains sont-ils pour autant bien défendus ? Décryptage.

Aux États-Unis, on peut réclamer 54 millions de dollars d’indemnités pour le préjudice subi par la perte d’un pantalon. Mais les Américains sont-ils pour cela mieux défendus par la justice ? Pas sûr. Les principaux bénéficiaires du système sont d’abord les avocats, comme l’explique ici Anne Deysine, professeur à Paris X-Nanterre, auteur, entre autres, de Les institutions aux États-Unis et Les États-Unis, une nouvelle donne ? (2010).

Les États-Unis sont le pays des procès ? Certes, les Américains n’ont pas peur de faire appel au juge, et tout concourt à favoriser le recours au contentieux, mais cela signifie-t-il que le pays est submergé par les procès ? Ce n’est pas si simple. Une chose est sûre (…), si, dans le système mis en place par la Constitution de 1787, le mode de résolution des différends passe par le juge, il ouvre aussi la voie à un nouveau type de despotisme, celui des avocats.

Qu’est-ce qui favorise le recours aux procès ? L’absence de filet social d’abord, car l’obtention de dommages et intérêts est souvent la seule option pour les victimes. L’organisation judiciaire, ensuite, qui est complexe, et, enfin, la nature du droit. Les États-Unis sont un pays de Common Law, c’est-à-dire d’un droit essentiellement jurisprudentiel élaboré par les juges : c’est le précédent (la décision antérieure) qui prime et s’impose, non la loi comme en France. Le fait qu’il s’agisse d’une organisation judiciaire décentralisée – soit 51 cours suprêmes, une fédérale et une dans chacune des cinquante États fédérés – ajoute à la complexité.

Dans l’ADN américain

De surcroît, le système accusatoire place la procédure entre les mains des parties, donc des avocats, le juge étant un simple “arbitre” du bon déroulement de la procédure. Ce sont ainsi les parties (et non le juge) qui choisissent et rémunèrent “leurs” experts. Difficile donc de se passer d’un avocat, le lawyer, qui a tout intérêt, notamment dans une affaire civile, à encourager son client à saisir la justice. De nombreux mécanismes lui facilitent d’ailleurs la tâche. Le pacte quota litis l’autorise à percevoir des honoraires proportionnels aux dommages et intérêts perçus par son client, ce qui permet à ce dernier, même sans grands moyens financiers, de se lancer dans une action qu’il sait coûteuse. De plus, le droit américain est très conciliant sur les conditions permettant d’aller au contentieux : il admet ainsi les recours collectifs (class actions) et la possibilité de demander des dommages et intérêts (punitive damages) quand il y a, par exemple, un manquement caractérisé et volontaire aux règles de sécurité.(…)

Résultat, le procès est inscrit dans l’ADN des Américains autant sans doute que le base-ball. Bien sûr, le recours à la justice peut aussi être instrumentalisé, la menace de procès devenant un élément de stratégie pour contraindre l’autre partie à céder. Car procès rime avec temps et argent. Les honoraires des lawyers et les frais liés aux différents auxiliaires de justice sont tels que même un procès gagné peut entraîner la ruine. Or les règles sont si complexes et ésotériques qu’elles confèrent un pouvoir exorbitant aux juristes, devenus de véritables chamanes du droit, et elles sont si nombreuses qu’elles peuvent finir par entraver toute initiative. La peur du risque domine, car le risque est partout. Des obstétriciens refusent de procéder à des accouchements par peur des procès ; dans les écoles ou les universités, la peur d’être accusé de harcèlement sexuel est devenue obsédante, d’où des procédures très strictes imposées aux professeurs comme aux élèves. Ce qui n’évite pas les dérapages, d’un côté comme de l’autre. En 2008, un enfant de six ans a été accusé par la direction de son école de sexuel harassement et dénoncé à la police parce qu’il avait touché les fesses d’une copine de classe.

Inégalité

Mais il faut relativiser. (…) Moins de 10 % des affaires donnent lieu à un procès. La grande majorité des demandes au civil se termine par une transaction, c’est-à-dire un accord à l’amiable, tandis que d’autres vont à la médiation, une technique de règlement des différends très développée aux États-Unis. En matière pénale, plus de 95 % des affaires, même les crimes les plus graves, peuvent faire l’objet d’une négociation entre le procureur et l’avocat de la défense, ce qu’on appelle le plaider coupable (plea bargaining). Le résultat est un plea agreement, une reconnaissance de culpabilité en échange d’une peine allégée. À condition évidemment d’avoir un bon avocat. Or c’est peut-être là la véritable faille du système : il est très inégalitaire, particulièrement au pénal. Car à l’exception des juridictions fédérales et de quelques villes ou États plutôt progressistes, l’avocat nommé par le juge est peu, voire quasiment pas rémunéré : il n’a en conséquence ni les moyens ni souvent le désir de s’investir dans la défense de son client. Reste pour ce dernier à contester la décision rendue, en invoquant une défense inefficace (ineffective counsel), par exemple parce que l’avocat s’est endormi à l’audience ou qu’il n’a pas fait l’effort minimum de recherche d’éléments ou de circonstances atténuantes, etc. Mais en dépit d’une jurisprudence favorable, les juridictions d’appel ne sont guère enclines à ouvrir les vannes de ce type de recours.

Tout ou presque peut être matière à procès aux États-Unis.

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