In Sanford, the Murder of Trayvon Martin Reawakens Demons of the Past

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SANFORD (Floride). « Dans cette ville, on emprisonne celui qui tue son chien ; mais celui qui tire sur un garçon noir reste en liberté. C’est un problème ici, et depuis longtemps ». Turner Clayton assène sa sentence d’une voix calme. Samedi, c’est lui qui ouvre le défilé de protestation, le troisième du genre à Sanford, destiné à obtenir l’arrestation de George Zimmerman, cet agent de surveillance autoproclamé, qui, le 26 février, a tué un lycéen de 17 ans, Trayvon Martin, et n’a pas été poursuivi.

A 59 ans, le responsable local de la NAACP (National association for the advancement of coloured people), l’organisation historique de défense des Noirs américains, en a vu d’autres. La mort absurde de Trayvon Davis et la remise en liberté de son meurtrier, George Zimmerman, ne sont que le énième épisode d’une interminable série de bavures raciales commises par la police de Sanford, une ville de 53000 habitants dont 30% de Noirs, à 60 km du « Royaume magique » de Disney. Il ne s’agit pas de « bavures policières » classiques: la police ne tue pas les Noirs, elle a tendance à remettre en liberté leurs meurtriers. « Tout le monde se dit : si George Zimmerman avait été noir et Trayvon Martin blanc, le meurtrier aurait été arrêté immédiatement et personne n’en aurait jamais entendu parler », poursuit Turner Clayton. L’affaire Trayvon Martin lui rappelle celle mettant en cause Justin Collison, qui ne fut pas arrêté en 2010 après avoir frappé sauvagement un SDF noir parce que son père était un policier de Sanford. Il fallut attendre qu’une vidéo terriblement accusatrice soit publiée sur Youtube pour que la justice s’en mêle.

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Elle lui remet aussi en mémoire le drame de Travis Mc Gill, un jeune Noir tué d’une balle dans le dos sur le parking d’un centre commercial de la ville en 2006 par un vigile qui le soupçonnait de vouloir voler une voiture. Le vigile non plus, n’a pas été inquiété. Son père aussi était policier.

Mais cette fois, l’histoire est encore plus limpide et donc totalement emblématique. Trayvon Martin n’est soupçonné par personne d’être un voleur puisqu’il rentrait chez son père armé seulement d’une cannette de thé glacé et d’un sachet de confiserie. Et George Zimmerman, qui ne nie pas le meurtre, est accusé d’avoir menti en prétendant avoir reçu des coups à la tête, puisqu’une vidéo policière montre son crane impeccable juste après les faits. Aujourd’hui, l’émotion a gagné toute l’Amérique, toutes couleurs de peau confondues. Une dizaine de cars de retransmission télévisée stationnent en permanence devant le siège flambant neuf de la police de Sanford.

Un portrait de Martin Luther King trône dans le modeste salon de Turner Clayton. Mon combat, dit-il, s’inscrit non seulement dans l’immédiateté – la revendication de « justice pour Trayvon Martin » -, mais aussi dans la longue l’histoire raciale refoulée de cette ville de Floride centrale.

A côté de la ville blanche baptisée en 1870 du nom de son fondateur, Henry Sanford, un gros propriétaire foncier, a existé entre 1891 et 1911 la ville noire autonome de Goldsboro. Deuxième cité noire fondée en Floride après l’émancipation de 1863, elle était peuplée de descendants d’esclaves employés dans les plantations d’agrumes et les champs de céleri, les spécialités locales, ainsi que par la compagnie de chemin de fer qui expédiait les produits agricoles vers le nord. La toute première ville de Floride ainsi gérée par des Noirs, Eatonville, se trouve près d’Orlando.

Mais en 1911, Sanford la blanche, en manque de foncier, a purement et simplement annexé Goldsboro. Les édiles noirs ont perdu la bataille judiciaire pour conserver leur autonomie. Les Noirs, qui s’auto-administraient (école, impôts, etc) ont été dépouillés de leurs prérogatives. Ils ont aussi été dépossédés de leurs repères identitaires. Les rues de Goldsboro, qui portaient les noms de héros de l’émancipation, ont été débaptisées par la municipalité de Sanford. Le nom de Forrest Lake, le maire qui avait décidé de l’annexion, a même été donné pendant un temps à une grande avenue de l’ancienne ville noire.

« Sanford prélevait les impôts de l’ancienne ville noire, mais n’y investissait rien, explique le responsable de la NAACP. C’est toujours vrai aujourd’hui : le quartier noir bénéficie seulement de subventions fédérales ! ». La carte raciale de la ville, publiée sur les sites des agences immobilière est d’ailleurs explicite : les frontières n’ont guère changé.

Ultime symbole, le nouveau commissariat de police, épicentre de l’affaire Trayvon Martin, se situe précisément à l’entrée de l’ancienne Goldsboro, un quartier planté de magnifiques arbres tropicaux mais terriblement déshérité. « C’est la seule marque d’attention de la municipalité », ironise Turner Clayton. Comme le dit Sharon Austin, responsable du département d’études afro-américaines de l’Université de Floride, la mort de Trayvon Martin est une « douloureuse machine à remonter le temps ».

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