Misuse of Censorship in the US

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Du mauvais usage de la censure

Il n’existe pas de traduction française exacte pour bully. Le terme anglais est à la fois un nom, qui désigne celui ou celle qui impose sa loi par la force et l’intimidation, et un verbe, to bully, qui veut dire contraindre par les intimidations, brimades et harcèlements que les victimes subissent de la part des bullies.

Voici maintenant le film, Bully (qui n’a rien à voir avec son homonyme, réalisé par Larry Clark en 2001). Le documentaire de Lee Hirsch suit plusieurs cas de jeunes persécutés en milieu scolaire, au point que deux d’entre eux se suicident. Le cinéaste, lui-même victime de bullying, voulait sensibiliser parents et éducateurs sur le sort de ces enfants ou adolescents qui vivent un enfer quotidien. Il a incidemment déclenché une tempête sur les réseaux sociaux, remettant une nouvelle fois en cause le système de censure hollywoodien.

Malgré l’absence d’images violentes, Bully a été classé “R”, par la Motion Picture Association of America (MPAA), l’organisme corporatif chargé de classifier les films exploités dans la plupart des salles commerciales. Le classement “R” interdit un film aux moins de 17 ans non accompagnés par un adulte et prive Bully du public auquel il était destiné.

Pourquoi un “R” à Bully ? On entend six fois le mot fuck, ce qui dépasse la limite de deux fuck tolérée par la MPAA. Pour le réalisateur, qui a tourné au cours de l’année scolaire 2009-2010, dans l’Oklahoma, le Mississippi, l’Iowa, le Montana, la Géorgie : “Quelques mots de langage cru dans le film nous valent ce “R”, pourtant ça se passe exactement ainsi, ce sont les mots que les enfants harcelés entendent.” A l’issue d’une projection organisée à Washington par la MPAA, Lee Hirsch a apostrophé son président, l’ancien sénateur Christopher Dodd : “Ce système de classification laisse tomber les gens et ne les protège pas.”

La décision a été aussitôt contestée par la Weinstein Company, distributeur de Bully, dont le président, Harvey Weinstein, a longtemps été considéré comme l’un des pires bullies de l’industrie cinématographique. C’est en partie en signe de repentance qu’Harvey Weinstein a fait de Bully l’un de ses combats personnels. Le distributeur de The Artist aux Etats-Unis a décidé de sortir le film sans classification, ce qui l’expose au boycott de nombreux exploitants et de certains médias qui refusent la publicité de films “NC” (non classified).

Pétitions

Le film a reçu le soutien de personnalités aussi diverses que Johnny Depp, Meryl Streep, Justin Bieber ou Hugh Jackman. Microsoft a mis son moteur de recherche Bing au service de la promotion du documentaire. Ce “R” a surtout déclenché un vaste mouvement sur les réseaux sociaux. Katy Butler, une lycéenne du Michigan, a lancé une pétition demandant que Bully soit classé “PG13” (autorisé aux adolescents non accompagnés). A ce jour, elle a recueilli plus de 520 000 signatures.

Le cinéma Arclight, sur Hollywood Boulevard, à Los Angeles, est l’une des cinq salles américaines dans lesquelles Bully est sorti sans classification le 30 mars. On y traite le film comme s’il était classé “PG13”. Dans les deux salles de la chaîne AMC (la deuxième des Etats-Unis) qui proposent Bully, les adolescents peuvent entrer avec un mot de leurs parents. Ce même week-end, il suffisait d’avoir 13 ans pour voir sans entraves Hunger Games, dans lequel des adolescents s’entre-tuent.

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