Jamais sans leur femme. Pour les candidats républicains, encore plus que les démocrates, il est impératif de se montrer sur les estrades avec leur épouse : c’est le signe de leur attachement aux valeurs familiales. Dans ce registre, Mitt Romney fait figure de champion. Ann, son épouse, ne le quitte pas d’une semelle. Et contrairement à Callista, la femme de Newt Gingrich, par exemple, elle intervient beaucoup dans la campagne. Elle défend son mari, polémique, twitte. A 63 ans, elle est toujours vêtue de vestes flamboyantes. Le contraire d’une femme effacée.
Les épouses ont des rôles ingrats. En 2008, Michelle Obama avait été mise sur la touche par les conseillers de son mari, après des déclarations jugées insuffisamment patriotiques et susceptibles d’effrayer l’électorat blanc. Pour Ann Romney, c’est l’inverse. Elle est soigneusement mise en avant par l’état-major républicain, et Mitt Romney lui-même ne manque jamais de parler d’elle. Il raconte leur rencontre à l’école primaire, leur flirt au lycée et leurs quarante-deux ans de mariage. S’il voulait éloigner le spectre des préjugés anti-mormons, l’ancien gouverneur du Massachusetts ne s’y prendrait pas autrement. Ann ou l’image d’un mariage heureux et monogame.
Jusqu’à présent, le facteur mormon est resté largement tabou, à l’exception d’une attaque en début de campagne, venant d’un pasteur évangélique proche du Texan Rick Perry. Mais les perceptions sont là, et, dans la culture populaire, le culte mormon reste associé à la polygamie, même si la pratique est interdite depuis plus d’un siècle. Récemment, le comédien Stephen Colbert ironisait sur l’exil auMexique de l’arrière-grand-père de Mitt Romney, parti “avec sa femme ” (une photo apparaît sur l’écran). “Et sa femme” (une deuxième photo). “Et sa femme ” (une troisième photo). L’ancêtre, Miles Park Romney, en avait cinq, la dernière épousée après l’interdiction de la polygamie en 1890. Et au total trente enfants.
En 2007, lors de la première tentative de son mari pour gagner la Maison Blanche, Ann Romney n’hésitait pas à plaisanter elle-même sur le sujet. La grande différence, dit-elle un jour, entre Mitt et ses concurrents – divorcés – est que “lui, au moins, n’a épousé qu’une femme”. Cette année, elle se garde bien d’attirerl’attention sur ce point. Sa présence est censée suffire à souligner le contraste. Et elle témoigne volontiers du mari modèle qu’est le probable adversaire de Barack Obama. Il lui est arrivé d’amener les électrices au bord des larmes en racontant comment il a été “si stable, si présent” lorsqu’elle a été frappée par un cancer du sein en 2008, à la fin d’une campagne électorale qu’elle avait détestée.
Pour épouser Mitt en 1969, Ann Davies – qui était la fille d’un autodidacte gallois devenu industriel dans le Michigan – s’est convertie à l’Eglise des saints du dernier jour. Ils se connaissaient depuis le lycée et s’étaient promis l’un à l’autre. Mais quand il est parti en France comme missionnaire, elle lui a écrit une lettre de rupture, lui annonçant qu’elle sortait avec un autre. Mitt Romney évoque parfois cette expérience douloureuse dans ses discours de campagne (humanisation toujours). Finalement, elle est quand même venue le chercher à l’aéroport et, dans la voiture, il lui a proposé de l’épouser. Le mariage a eu lieu dans le Michigan puis à Salt Lake City. Le père de la mariée n’a pas pu entrer dans le temple mormon, où seuls sont admis les adeptes de l’Eglise, mais des années plus tard, après son décès, il y a été baptisé en vertu du rite mormon de donner une seconde chance aux morts.
Mère de cinq enfants – cinq garçons nés en l’espace de onze ans -, chaleureuse,Ann Romney est censée humaniser un homme qui a grandi dans un clan privilégié. L’exercice a parfois des ratés. Comme l’a indiqué son mari, elle possède elle-même deux Cadillac, l’une en Californie, l’autre dans le Massachusetts. Elle est aussi propriétaire de chevaux de concours ; ils sont présentés comme les indispensables compagnons de sa lutte contre la sclérose en plaque (elle a été diagnostiquée en 1998). Les Romney ont investi plus de 250 000 dollars dans un haras en Californie et Ann s’est prise de passion pour le dressage. “Les chevaux nourrissent mon âme, a-t-elle déclaré à Fox News. Il y a des gens qui ont des amants dans chaque port. Moi ce sont des chevaux.” Si son mari est élu, elle a prévu de faire de l’équitation à la Maison Blanche.
Ann Romney est au cœur du débat national depuis que la consultante démocrateHilary Rosen, excédée d’entendre Mitt Romney prétendre que son épouse l’informe des préoccupations des femmes, a fait remarquer qu’elle n’avait “jamais travaillé un seul jour de sa vie”. Aussitôt, le camp Romney a dénoncé cet outrage à l’image sacrée de la “mom” américaine. Et Ann a immédiatement répliqué sur son tout nouveau fil Twitter (@AnnDRomney) : “J’ai choisi de rester à la maison et d’élever cinq garçons. Un travail difficile, vous pouvez me croire.” Si on en croit ses conseillers, elle n’avait même pas de cuisinier, ni de baby-sitter, bien qu’elle soit l’épouse d’un manageur de fonds d’investissements multimillionnaire.
L’épisode ne pouvait pas mieux tomber pour Mitt Romney, qui n’arrive pas à se défaire d’un handicap persistant dans l’électorat féminin. Traditionnellement, les femmes votent plutôt démocrate mais cette année, le gender gap, ce fossé entre hommes et femmes sur les préférences politiques, a pris les dimensions d’un gouffre. La polémique sur le remboursement de la contraception, lancée par le catholique intégriste Rick Santorum, a effrayé nombre d’électrices. En quelques semaines, les républicains ont reculé d’une dizaine de points dans les sondages. Mi-avril, Mitt Romney avait vingt points de retard sur Barack Obama chez les femmes.
Grâce à Ann, le candidat espère remonter son handicap. Même Barack Obama s’est senti obligé de prendre la défense de la “mom” attaquée. “Il n’y a pas de travail plus dur que celui d’une mère”, a rappelé le président.
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