Pendant treize ans, à Boston, le candidat républicain à la Maison Blanche a été l’un des principaux responsables de cette Eglise très conservatrice et mal connue. Témoignages sur une expérience cruciale qu’il occulte.
Au centre d’accueil du temple mormon de Boston, dans le Massachusetts, les initiés pointent quelques bouilles notables parmi les photos épinglées au mur : celles des petits-enfants Romney. «Ici, c’est Thomas, que nous appelons Tommy, le fils de Tagg [l’aîné des cinq fils de Mitt Romney, ndlr]», montre Tony Kimball, un fidèle qui s’est proposé de jouer les cornacs. «Et ici, regardez l’orgue : il est là grâce à l’argent donné par les Romney», poursuit notre guide, désignant les majestueux tuyaux qui ornent la salle de prière.
Dans sa campagne pour tenter de ravir la Maison Blanche à Barack Obama, en novembre, le candidat républicain, Mitt Romney, reste très discret sur sa foi mormone – une religion encore mal connue et pas toujours bien acceptée aux Etats-Unis. Ce culte un peu étrange a été fondé en 1830 par Joseph Smith qui affirmait avoir découvert dans l’Etat de New York de saintes écritures gravées sur des plaques d’or (le Livre de Mormon). Il a joué un rôle formateur essentiel pour Mitt Romney. Longtemps avant que ce dernier ne se lance en politique, il a exercé les fonctions d’«évêque» et de «président de pieu» (chargé de plusieurs paroisses) au sein de l’Eglise de Jésus-Christ des saints des derniers jours.
«Il faisait de bons sermons»
L’Eglise mormone exige beaucoup de ses fidèles : un dixième de leurs revenus, des services de trois heures chaque dimanche, le renoncement non seulement à l’alcool et au tabac mais aussi au café ou au thé… Mitt Romney en respecte parfaitement toutes les règles, assurent ses coreligionnaires, qui connaissent ces facettes encore peu éclairées du personnage. «Dès l’âge de 4 ou 5 ans, les enfants apprennent chez nous à tenir de petits discours en public», explique Tony Kimball, tandis qu’il fait visiter le centre communautaire de Boston, où s’enchaînent les salles de classe avec des chaises de différentes (petites) tailles pour l’école du dimanche. «Mitt n’est sans doute pas un Bill Clinton, doué d’une sorte d’empathie naturelle, poursuit notre guide, mais il a certainement appris chez nous à se présenter en public et à faire des discours. Même s’il n’est pas le meilleur des orateurs, je me souviens qu’il faisait de bons sermons, il savait y faire pour motiver les fidèles.»
Tony Kimball raconte avoir connu «Mitt» dès les années 70, alors installé à Boston après son retour de mission en Europe. Comme tous les jeunes mormons, Mitt Romney avait dû servir pendant deux ans son Eglise, qui l’avait envoyé en France. «Ce qui voulait dire se faire claquer sans cesse les portes au nez et devoir vivre très chichement avec ce que nous donnaient les gens, traduit Tony Kimball. Mitt a néanmoins gardé des souvenirs positifs de son expérience en France, il nous en parlait souvent. Plus tard, il a aussi mis à profit sa connaissance du français pour s’occuper des Haïtiens qui ont rejoint notre communauté de Boston.»
Le salut pour les morts
De ces années où le futur candidat républicain était étudiant à Harvard, avant de débuter une carrière dans la finance, une autre fidèle se souvient surtout des allers-retours en car jusqu’au temple de Washington. C’était avant que celui de Boston ne soit construit. Les fidèles devaient se rendre près de la capitale fédérale pour effectuer le «salut pour les morts», un rituel essentiel dans le culte mormon. «On partait le vendredi soir pour arriver tôt le samedi au temple où on effectuait notre service aux morts, avant de repartir le samedi soir, raconte Helen Claire Sievers, directrice de WorldTeach, une organisation issue de Harvard qui envoie des étudiants enseigner dans les pays pauvres. De tous les passagers du bus, Mitt était le seul à travailler pendant le trajet, se souvient-elle, encore étonnée. Cela me frappait car je savais qu’il venait d’une famille plutôt privilégiée et je le voyais travailler dur.»
A l’arrivée au temple de Washington, après la nuit en car, chacun se voyait remettre le nom d’une personne décédée et devait prier Dieu pour qu’il accepte le mort en son royaume, explique Helen Claire, sans se retenir de sourire elle-même de ces pratiques. «N’en faites pas trop sur ce thème s’il vous plaît, ou Mitt va me tuer !» implore-t-elle, consciente que ces «baptêmes des morts» prêtent à polémique. On reproche en particulier à l’Eglise mormone d’avoir ainsi baptisé des centaines de milliers de victimes de l’Holocauste ou encore… la mère de Barack Obama. Mais la religion mormone n’est pas la seule à compter «quelques bizarreries», rappelle Helen Claire. «Ce n’est pas nous, tout de même, qui avons imaginé la naissance du ventre d’une femme vierge ou la partition de la mer Rouge…»
En 1981, à 34 ans, Romney est nommé évêque de sa communauté de Boston, qui compte alors quelque 400 fidèles. «Il était très jeune pour être ordonné, mais il était manifestement très brillant et énergique», explique Ron Scott, un autre coreligionnaire, auteur d’une récente biographie – non autorisée – de son ancien prélat. Romney entamait alors en parallèle sa carrière chez Bain & Company, un groupe de consulting où les semaines comportaient «quelque soixante heures de travail», rappelle Ron Scott. Selon lui, Romney y ajoutait «vingt ou trente heures par semaine pour son travail d’évêque : visite aux malades de la communauté, conseil à ceux qui ne trouvent pas de travail, aide aux plus pauvres…»
A tous ceux qui le trouvent aujourd’hui «détaché» et «très loin des préoccupations» de l’Américain moyen, les mormons de Boston peuvent ainsi assurer que le prétendant à la Maison Blanche a eu une longue pratique de soins et compassion pour ses prochains. Le problème, pour le candidat, est qu’il ne veut pas trop mettre en avant cette expérience mormone, afin de ne pas attirer l’attention sur sa religion.
Très apprécié à l’époque pour son efficacité, son engagement ou son entregent, Mitt Romney est promu en 1986 président de pieu, rassemblant un total d’environ 4 000 fidèles. Il exerce cette fonction jusqu’à ses débuts en politique, en 1994, quand il tente – en vain – de s’emparer du siège de Ted Kennedy au Sénat. Mais pendant ces treize années où il a œuvré comme prélat d’une Eglise connue comme particulièrement conservatrice, Mitt Romney se serait montré parfois «glacial» ou «sans cœur», ont dénoncé quelques paroissiens, des femmes notamment.
Renoncer à l’avortement
Une mère célibataire, Peggie Hayes, a par exemple raconté comment Romney était venu jusque chez elle pour la convaincre d’abandonner son bébé et de le confier aux services d’adoption de l’Eglise… La menaçant même d’excommunication si elle ne s’exécutait pas. Une autre femme, dont la sixième grossesse s’annonçait risquée, pour elle-même tout autant que pour le bébé, s’est pourtant vu recommander par l’évêque Romney de «songer à l’enfant à naître» et de renoncer à toute idée d’avortement… «A un moment où j’aurais aimé recevoir du soutien et du réconfort de mes leaders spirituels et mes amis, je n’ai obtenu que des jugements, critiques, de mauvais conseils et du rejet», a dénoncé cette paroissienne au groupe Exponent II, un mouvement «féministe» cherchant à faire évoluer l’Eglise mormone de l’intérieur.
D’autres, toutefois, soulignent que dans le carcan de ses fonctions, l’évêque Romney s’est montré toujours très attentif aux problèmes de sa communauté, généreux de son temps comme de son argent, et aussi «libéral» que possible. «Quand il a été nommé président de pieu, Mitt m’a demandé d’être son secrétaire alors même que je n’étais pas marié [une anomalie chez les mormons, qui tendent à se marier jeunes et avoir beaucoup d’enfants]», témoigne Tony Kimball, notre guide au temple de Boston. «Il a aussi gardé un collaborateur qui était divorcé», poursuit-il, suggérant ainsi l’ouverture d’esprit de son ancien président.
Salade de homard
A cette époque, Tony Kimball fut aussi plusieurs fois l’invité des Romney dans leur grande villa de Belmont, une banlieue huppée située à l’ouest de Boston où se dresse le temple mormon. Ann, l’épouse de Mitt, s’y montrait très accueillante et, surtout, une «extraordinaire cuisinière», se souvient l’hôte, qui garde notamment sa salade de homard ou son gaspacho en mémoire. Mais l’intérieur des Romney avait aussi frappé ce visiteur : «On se réunissait dans leur bibliothèque, où tous les livres avaient exactement la même couverture en cuir. Cela m’étonnait car, chez moi, pas un seul livre n’a la même reliure, glisse-t-il, supposant visiblement que ces ouvrages avaient été achetés pour décorer plutôt que pour être lus. Je ne pense pas que Mitt se soucie beaucoup des arts, conclut son ancien collaborateur. Côté musique, il écoutait surtout de la pop.»
Même ceux dont le chemin a ensuite divergé de celui de Mitt Romney, et qui ne voteront pas pour lui en novembre, s’accordent sur sa«capacité de travail», un «sérieux» et une «efficacité» assez hors du commun. «J’ai beaucoup aimé travailler avec lui, souligne Helen Claire Sievers, jadis chargée des relations publiques de l’Eglise mormone de Boston sous sa tutelle. Mitt n’est pas quelqu’un qui se pousse du col ou se met en avant sans raison. Sa force c’est plutôt de prendre des projets, et de les mener à bien.» Démocrate, Helen Claire Sievers n’en votera pas moins Obama et compte même s’engager dans la campagne.
Sur le plan politique, ce qu’elle remarque le plus chez Romney est son côté «girouette», un trait de caractère souvent dénoncé et qu’elle confirme : «Mitt a quelques attachements profonds qui lui tiennent à cœur, atteste Helen Claire Sievers. Quand il parle de sa femme, de sa famille ou de son Eglise, on peut être sûr que ce n’est pas du chiqué. Mais pour le reste, que ce soit la politique d’immigration, la politique étrangère ou l’aide aux plus pauvres, je ne pense pas que ce soient des sujets auxquels il a beaucoup réfléchi. Pour cela, il n’a pas de mal à changer d’avis…» Pour avoir longtemps côtoyé et observé son ancien évêque, cette coreligionnaire démocrate retient de la campagne un slogan en particulier : «On peut voter Romney, plaisante-t-elle, il ne croit pas un mot de tout ce qu’il dit…»
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