Le président gai
(ANALYSE) «Le premier président gai.»
Impossible de rater la couverture du magazine Newsweek cette semaine. Un titre-choc, en lettres majuscules, sous une photo de Barack Obama dont la tête est surmontée d’une auréole aux couleurs de l’arc-en-ciel.
À l’intérieur, un chroniqueur de renom aux États-Unis, Andrew Sullivan, compare l’actuel président américain à Lyndon Johnson, en faisant référence à ce que le successeur de John Fitzgerald Kennedy a fait pour les Noirs.
Andrew Sullivan, qui est lui-même gai, dit avoir pleuré lorsqu’il a entendu son président, la semaine dernière, se prononcer en faveur des mariages entre conjoints de même sexe.
Il n’est pas le seul à s’émouvoir de cette déclaration symbolique. Parce qu’elle est historique. Mais aussi parce que le président, qui a parfois manqué de cran (notamment devant Wall Street) a fait un geste courageux.
Le risque, pour le politicien démocrate, est certainement calculé. Et il lui permettra d’aller chercher plus d’argent auprès de la communauté gaie. Mais il s’agit néanmoins d’un risque.
Car une question cruciale se pose à moins de six mois de la présidentielle: et si les votes que Barack Obama ne récoltera pas à cause de sa prise de position controversée faisaient la différence?
Depuis une semaine, les analystes politiques américains sont obsédés par cette question. Personne ne peut s’avancer avec certitude, mais tout semble indiquer qu’il en perdra, des voix.
Si on en croit les résultats d’un sondage New York Times/CBS diffusés mardi, 26% des Américains sont moins susceptibles de voter pour lui en raison de son changement de cap sur les mariages gais. Uniquement 16% se disent plus enclins à lui accorder leur appui. Et une majorité estime qu’il a agi moins par conviction que pour des «raisons politiques».
Il ne faut pas sous-estimer la différence que peuvent faire quelques milliers de voix dans le cadre d’un scrutin présidentiel. D’autant plus que bon nombre d’États clés ont déjà exprimé leur opposition au mariage gai.
En Caroline-du-Nord, par exemple. Vingt-quatre heures avant l’entrevue accordée au réseau ABC par le président, une large majorité d’électeurs de l’État (61%) avait voté en faveur d’un amendement à la Constitution américaine dans le but d’interdire le mariage entre conjoints de même sexe.
Cet État est l’un de ceux qui peuvent faire pencher la balance du côté du candidat démocrate ou de celui du prétendant républicain au scrutin du 6 novembre. En 2008, Barack Obama y avait obtenu une victoire à l’arraché contre John McCain, avec 49,9% des voix contre 49,5% pour son rival. Soit moins de 14 000 votes de différence.
Quelle mouche a donc piqué Barack Obama? Qu’est-ce qui a bien pu le pousser à se commettre sur cet enjeu controversé? Un élément de réponse à cette question se trouve dans une autre entrevue accordée par le politicien démocrate, celle-là en 2008.
Alors qu’il était candidat, il a dit vouloir devenir un président «transformationnel» comme l’a été Ronald Reagan dans les années 80. Ce républicain charismatique a su mettre son pays «sur une voie différente, d’une manière fondamentale», avait affirmé le politicien démocrate à l’époque.
Ronald Reagan a réussi à transformer l’attitude de ses citoyens à l’égard du gouvernement (en le diabolisant) et à faire souffler un vent de conservatisme sur le pays qui décoiffe encore aujourd’hui les plus progressistes des Américains.
L’appel à la tolérance lancé par Barack Obama est celui d’un homme qui a lui-même été victime de discrimination à cause de la couleur de sa peau. C’est aussi un geste de plus dans le but d’inoculer aux héritiers de Ronald Reagan le virus du changement.
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