Girls, Racism and Tokenism

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La controverse a commencé il y a un mois, alors que HBO lançait Girls, une série comique créée et écrite par Lena Dunham, jeune scénariste talentueuse de vingt-six ans.

Girls est tout ce que les comédies des grands networks (ABC, FOX, CBS, NBS, CW) ne sont pas : irrévérencieuse, drôle, gênante, étrange, excentrique et addictive. Le synopsis n’est pas plus original qu’un autre : on suit le parcours de Hannah Horvath (également interprétée par Lena Dunham) qui essaie de s’en sortir financièrement à New York alors que ses parents viennent de lui couper les vivres pour qu’elle vole enfin de ses propres ailes. Hannah n’est pas seule dans ce cas, elle a aussi trois amies qui aspirent toutes à une réussite aussi bien professionnelle que personnelle.

Girls ne manque pas d’atouts pour charmer un public en manque de nouveautés : HBO, la chaîne câblée dont on connaît la qualité des productions, une esthétique qui n’est que très peu travaillée et qui ne met pas forcément les acteurs en valeur, des personnages qui se mettent souvent dans des situations improbables mais hilarantes, une manière très crue, voire parfois embarrassante, de traiter des relations amoureuses et du sexe. La série offre une nouvelle version de la comédie qui tire parfois vers l’humour noir, dans la veine de Louie, merveilleuse production du comédien Louie C.K pour la petite chaîne FX.

Seulement voilà : dans Girls, il n’y a que des acteurs blancs.

Ceci n’est pas un raccourci ni une hyperbole : dans les trois premiers épisodes, seul un personnage de couleur est représenté, et c’est un sans-abri qui hérite de dix secondes d’antenne. Comme s’en étonne le site The Take Away, Lena Dunham n’a créé que des personnages blancs alors que ceux-ci vivent à Brooklyn, quartier dans lequel deux tiers des habitants ne sont pas caucasiens.

Jenna Wortham, journaliste au New York Times, a alors pris sa plume, ou plutôt son clavier, pour partager son désarroi. Elle écrit : “Elles sont comme nous, mais elles ne sont pas comme nous. Elles sont comme moi, mais elle ne sont pas comme moi”, avant d’ajouter que le pire dans l’histoire, c’est qu’elle a adoré les premiers épisodes de la série. Aussi, la question qui est sur toutes les lèvres s’impose d’elle-même : comment une production, qui arrive à traiter aussi bien de tant de sujets différents, peut-t-elle échouer sur ce thème-ci ? A l’heure où les attaques fusent encore contre Seinfeld, Friends ou Sex And The City pour leur manque de diversité, il s’agit de se demander comment une série intelligente, créée en 2012 par une surdouée de la télévision qui a passé son enfance entourée d’amis qui n’avaient pas tous la même couleur de peau, n’a pas su apprendre des erreurs de ses prédécesseurs.

Molly Lampert écrit dans Gawker que la réponse n’est pas à chercher du côté de Lena Dunham, qui a répondu aux critiques de manière respectueuse et concernée, en expliquant qu’elle adresserait ce problème mais qu’elle ne souhaitait pas ajouter des personnages de couleur juste pour remplir des quotas, définition même du tokénisme, auquel nombre de séries ont malheureusement recours.

Les racines du problème seraient bien plus profondes : les milieux du cinéma et de la télévision n’ont pas encore trouvé la manière de traiter pleinement des questions raciales. Comme si les productions devaient être soit majoritairement blanches, avec seulement un ou deux personnages Token (How I Met Your Mother, Gossip Girl, Lost, Dexter), soit se focaliser sur une communauté non-caucasienne, dans laquelle les personnages blancs sont à leur tour quasi inexistants (Le Prince de Bel Air, The Cosby Show, The Jeffersons, In Living Color).

Le critique du Boston Globe Wesley Morris, gagnant du prix Pulitzer en 2012, a d’ailleurs disserté sur l’importance de la saga Fast and Furious, moquée pour ses scénarii légers et ses scènes d’action vides de sens, mais qui a le mérite d’être une des seules productions cinématographiques qui représentent des acteurs de toutes origines sans que cela ne fasse l’ombre d’une différence dans le traitement des personnages.

Certains affirment qu’il n’est pas surprenant de voir Hannah et ses amies évoluer dans un milieu entièrement blanc, parce que Girls ne fait que représenter la réalité ; le fait que la télévision comme les Etats-Unis restent très ségrégués. D’autres tentent d’expliquer que pour résoudre le problème, il ne s’agit pas d’ajouter dans Girls des personnages noirs, latinos ou asiatiques qui auraient des histoires liées à leurs origines, mais simplement de considérer le fait qu’une grande partie des habitants de New York ne sont pas blancs, et pourtant se reconnaissent dans les problèmes auxquels font face les quatre jeunes femmes. D’autres encore expliquent qu’il est possible que le fait qu’il n’y ait que des acteurs blancs montre simplement combien les personnages sont enfermés dans leur propre milieu, incapables de sortir de leur petite routine ou d’avoir des contacts avec d’autres personnes.

Au final, ce qu’il faut retenir de cette polémique, c’est qu’elle a le mérite d’exister, et de soulever des problèmes qui ne peuvent être réglés simplement à coups de quotas. Néanmoins, si la controverse a pris une telle ampleur, c’est aussi parce que tout le monde s’accorde à dire que Girls a un immense potentiel pour incarner “la voix d’une génération”, et qu’il est décevant qu’elle passe à côté de ce titre par simple manque de réflexion.

Faut-il répéter que Lena Dunham est une scénariste, productrice, réalisatrice de seulement vingt-six ans, dont la série vient d’être sélectionnée, et d’ores et déjà renouvelée, par une des chaînes les plus respectées des Etats-Unis ? Dunham répète à qui veut l’entendre qu’elle n’a même pas réalisé qu’il n’y avait que des personnages blancs dans sa série avant qu’on ne le lui fasse remarquer, et qu’elle a créé un milieu qui ressemblait au sien car elle n’arrive à écrire que sur ce qu’elle connaît. Immature, négligente, égoïste, irréfléchie ; il est possible de lui apposer beaucoup d’adjectifs. Cependant, ajoutons aussi, avec toute la mesure et le discernement dont il faut faire preuve, que Dunham a créé une série, pas un documentaire. Certes, les scénaristes de Girls espèrent sûrement que beaucoup de jeunes gens se reconnaissent en elle et hochent la tête devant leur écran en se disant “c’est tellement vrai !”, mais lui incombe-t-il la responsabilité de devoir être la voix de toutes les générations ? La critique est sévère car la série est bonne, mais surtout car elle donne l’occasion d’ouvrir à nouveau le débat sur la représentation et sur la reconnaissance de tous les téléspectateurs, quelles que soient leurs origines.

Faut-il s’étonner qu’il y ait encore une majorité de séries qui n’ont pas intégré l’importance du facteur “diversité”, aussi bien du public que de la société ? Il suffit de regarder les photos des patrons des chaînes télévisées pour obtenir une première piste de réponse. Tant que le pouvoir de vie ou de mort sur les productions résidera dans les mains d’une poignée d’hommes blancs, souvent cinquantenaires, toujours fortunés, les séries diffusées seront construites sur le même modèle. Surtout, tant que la diversité ne s’installera pas au sein des sphères décisionnelles, la polémique devra rester ouverte et être alimentée régulièrement afin qu’elle ne cesse d’être entendue.

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