Aurora, Batman: Witch Hunt, Watch Out!

<--

ous allez voir : on ne va pas y couper. À chaque tragédie, à chaque fait divers où un tueur s’alimente à l’imaginaire du cinéma (et il y en a eu hélas beaucoup – cette double page en témoigne), on se tourne vers les artistes. On leur demande de rendre des comptes. De s’expliquer. De se justifier, comme s’ils étaient complices, et avaient accompagné la main des assassins. On serait prêt, en somme, à les enfermer dans le même box des accusés que les meurtriers qu’ils inspirent… bien involontairement.

Ce n’est pas la première fois que le débat touchant à la mise en scène de la violence au cinéma est mis sur la table. Il y a quarante ans déjà, on faisait le même procès à Stanley Kubrick à la sortie d’Orange mécanique. Francis Ford Coppola avec Apocalypse Now, Roman Polanski avec Rosemary’s baby, Martin Scorsese avec Taxi driver, David Fincher avec Seven, Paul-Thomas Anderson avec There will be blood, en ont aussi fait les frais. Et voilà qu’aujourd’hui, quelques jours à peine après l’incompréhensible carnage d’Aurora perpétré par James Holmes, qui s’était déclaré au moment de son arrestation miroir du diabolique Joker, c’est Christopher Nolan, auteur de The Dark Knight rises, qui se retrouve dans la peau d’un présumé coupable.

On notera que tous les cinéastes cités ici, de Kubrick à Nolan, sont de très grands serviteurs du septième art. Tous traitent, depuis la fin des années 60 jusqu’à notre époque, marquée à l’instar de la trilogie de Batman par les attentats du 11 Septembre, de l’extrême violence de notre société. Et tous ont à cœur de sonder les démons de l’âme humaine.

L’égarement provoqué dans la société par le film de Nolan est un signe inquiétant. Et qui alarme non pas sur la question de la liberté des artistes, mais bien sur l’état de cette société. Car la saga Batman relève du spectacle allégorique. On y met des masques, on y voit voler un homme déguisé en chauve-souris, un autre grimé en clown ou en épouvantail. On y raconte une fable. Et que nous dit-elle, cette fable ? Que le monde est une jungle, dans laquelle il faut apprendre à faire le tri entre le désir de s’élever et la tentation du mal. C’est en somme un film moral, comme l’étaient déjà, malgré les apparences, Orange mécanique et Taxi driver. Derrière la fable de Batman, Nolan voulait pointer la confusion des valeurs. C’est au nom de cette confusion qu’un homme a ouvert le feu, samedi passé. Christopher Nolan ne pouvait pas être moins bien compris.

About this publication