In the Country of Violence

Edited by Heather Martin

 

 

 

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Au pays de la violence

Le point « The essential American soul is hard,

isolate, stoic and a killer. » – D. H. Lawrence

La photographie est celle d’un jeune homme au sourire un peu niais, le regard comme perdu dans le vague, l’allure plutôt gauche du boyfriend qui rencontre pour la première fois les parents de sa girlfriend qu’il va accompagner tout à l’heure au bal de leur promotion. Peut-être même qu’il viendrait avec une orchidée (est-ce toujours la tradition ?) pour cette première sortie. L’autre image représente James Holmes, étudiant en neurosciences, sous son vrai jour : bardé de cuir et de métal, comme Goliath s’apprêtant à affronter David. Sauf que, cette fois, c’est le géant qui l’a emporté. L’arène ? Une salle de cinéma de la localité d’Aurora (population : 325 078) jouxtant Denver, le paradis des skieurs. Bilan :12 tués, 59 blessés, un pays tétanisé et une opinion mondiale qui s’interroge : « Pourquoi cette violence ? Pourquoi les États-Unis ? Pourquoi aussi souvent ? »

À ces questions, la criminologue Lonnie Athens avait répondu jadis, à l’occasion d’une conférence sur le sujet, d’une manière plutôt expéditive, lançant en guise de titre à son intervention : « C’est un sujet d’intérêt interne et cela ne vous regarde fichtrement pas. » * Autre explication, d’un militaire, le général George S. Patton, cette fois : « Les Américains aiment se battre. Tout Américain digne de ce nom adore sentir l’aiguillon de la bataille. » Valable pour une situation de guerre – encore que… –, mais boiteux dès lors qu’il s’agit d’une tuerie dans un lieu public ou un campus universitaire.

Ils sont nombreux, les spécialistes à qualifier de meurtriers les premiers colons arrivés en terre américaine avec Christophe Colomb. Et l’histoire retiendra que les 102 « pèlerins » du Mayflower qui débarquèrent le 19 septembre 1620 sur les côtes de Plymouth dans le Massachusetts n’étaient pas tous, il s’en faut, les doux bienfaiteurs du genre humain décrits dans les manuels scolaires. Pas plus que leurs descendants qui entreprirent de massacrer allégrement les autochtones avant de parquer leurs héritiers dans des réserves. On pourrait citer aussi les abominations de l’esclavage des Noirs puis la ségrégation, tous les hors-la-loi de ces dernières époques et jusqu’à la nôtre, les violences urbaines, conjugales et celles dont sont victimes les enfants.

En 1865, il y eut l’assassinat d’Abraham Lincoln, suivi de ceux de trois autres présidents : James Garfield, William McKinley et John F. Kennedy, de la mort violente de Robert F. Kennedy et Martin Luther King, des massacres perpétrés à Columbine, à Virginia Tech, à Tucson… À chaque fois, l’Amérique se penchait sur son passé, analysait le comportement de ses fils, tentait de trouver une explication à l’inqualifiable, sans jamais y parvenir. Onze tentatives d’assassinat auront été perpétrés contre des chefs de l’exécutif US, soit plus du cinquième des hommes qui se sont succédé à la Maison-Blanche. Encore ne figurent pas dans cet effarant bilan les rescapés comme Andrew Jackson, Franklin Roosevelt, Harry S. Truman et Gerald Ford, qui s’en sont tirés sans une égratignure, ou bien, moins chanceux, Theodore Roosevelt, blessé lors de la campagne présidentielle de 1912, et Ronald Reagan, grièvement atteint par les balles de John Hinckley, soucieux d’attirer l’attention de l’actrice Jodie Foster.

Les chiffres sont plus éloquents encore que cette liste. La moyenne annuelle des blessés par balles se situe autour de 50 000, et autour de 25 000 celle des accidents par armes à feu. Les statistiques sur les morts violentes aux USA indiquent un chiffre huit fois plus élevé que celui enregistré dans les pays aux systèmes politique et économique similaires ; elles sont sensiblement les mêmes dans les pays sous-développés et/ou politiquement instables. Quarante-quatre millions d’Américains détiennent une ou plusieurs armes, soit le quart de la population adulte. Plus inquiétant encore : ces personnes ont entreposé à domicile quelque 192 millions machines de mort, dont 65 millions de revolvers. Comment croire que l’on puisse résister à la tentation de s’en servir un jour ou l’autre ?

Des sociologues mettent en cause dans la vague de violence qui déferle sur l’Amérique certains aspects de la culture vidéo, avec toutes les variantes de ce Dark Knight, le personnage de la dernière version de Batman qui passait dans la salle de cinéma d’Aurora, le jour du massacre.

Mais que sont Snow White et Teddy Bear devenus ?

*« Why we Americans are so violent …

« …It’s a local matter, and none

of your damn business. »

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